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Page:Fiel - L'ombre s'efface, 1955.pdf/92

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l’ombre s’efface

J’enlevai lentement mes chaussures, car j’étais encore indécise. Je craignais l’hypocrisie de cet homme. Aussi lente que je fusse, je me trouvai débarrassée de mes souliers que je rangeai dans un coin.

Sans un mot, je commençai, La rage courait en moi et donnait un rythme saccadé à mes pas. Cependant, la danse, cet art si noble, reprit possession de moi et l’équilibre me revint. Mais alors une humiliation me saisit et mes larmes coulèrent. Je les sentais glisser sur mes joues où elles roulaient comme des perles. Un désespoir m’envahit et je souhaitai mourir. N’ayant plus l’habitude, je m’arrêtai bientôt et me jetai sur un fauteuil en éclatant en sanglots.

Impitoyable, Hervé me signifia :

— Je vous laisse cinq minutes pour vous reprendre, puis vous continuerez. Cela m’est très agréable. Je ne me doutais pas que la danse et les pleurs pouvaient offrir un spectacle aussi passion­nant.

— Bourreau ! hurlai-je. Ne comptez pas que je poursuive ce calvaire !

— Vous n’avez qu’à m’obéir ! C’est déjà bien généreux de ma part de ne vous demander que quelques danses.

— Mais pourquoi m’infligez-vous ces souffrances ?

— Parce que vous êtes la femme aimée de Jacques. Ah ! vous vous repentirez de l’avoir épousé ! C’eût été trop de bonheur pour vous, qui êtes la fille de je ne sais qui. Ce serait insulter au malheur des autres. Je représente le justicier.

J’eus un frisson et me crus en face d’un fou. Si cela était, ma situation devenait plus terrible encore. Je pensai à mon bonheur perdu, à l’amour de mon cher Jacques, et je lui demandai pardon de lui avoir caché cette visite. Je l’avais fait par délicatesse, cependant, afin de lui épargner une émotion. Oh ! que je me repentais de n’avoir pas parlé ! Le soir venu, il eût été inquiet et m’aurait délivrée. Je n’avais jamais commis de mal et j’étais acculée à la plus abjecte des perspectives. Il me semblait que ma raison s’égarait.

Hervé commanda :

— Dansez ! Le repos est fini.

— Non !