Page:Fiel - Le fils du banquier, 1931.djvu/79

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— Vous savez, Monsieur Gérard, dans notre inonde on dirait : « Ne faites pas tant de chichis !… » Mais je veux parler sérieusement aussi avec vous, puisque nous nous considérons comme des personnages… Soyez donc sans crainte… Vous ne seriez pas l’homme qu’il me faut pour mari. Si papa pensait à vous, ce qui est possible, je lui dirais : « Laisse Manaut en repos… Il a des façons qui me gêneraient vis-à-vis des camarades. » Vous comprenez qu’on ne peut pas renier son entourage… Je suis contente de vous savoir fiancé, cela arrange les choses… Quand vous marierez-vous ?

Ce coup direct embarrassa Gérard.

— Je ne sais pas encore…

— Vous la ferez attendre longtemps, la petite qui se morfond ?

— Mais…

— Vous gagnez de bonnes journées et elle pourrait soigner Votre papa.

— Cependant… Ecoutez, Mademoiselle. Vous êtes intelligente, on peut tout vous dire. Quand on a promis la richesse à une jeune fille et qu’on lui apporte la pauvreté, croyez-vous qu’il n’est pas préférable d’attendre que les choses aillent mieux ?

— Quelles choses ?

— Que ma situation devienne meilleure…

— Comment, meilleure ?… Papa gagnait moins que vous quand il s’est marié…

Gérard ne sut que répondre. Pouvait-il objecter que les conditions n’étaient pas les mêmes, que Mme  Bodrot devait se contenter, sans doute, de ce qui n’aurait pas suffi à Denise et qu’il eût été honteux de lui offrir ?

Mathilde s’écria impétueusement :

— Ne l’aimez-vous donc pas, cette jeune fille ?

— De tout mon cœur, riposta vivement Gérard ; mais, vraiment, je n’oserais pas entraîner ma fiancée dans ma misère…

Mathilde n’osa plus répliquer, tout à coup émue par le ton douloureux de l’ouvrier de son père.

D’ailleurs, elle ne put poursuivre l’entretien, car il la quitta après un salut comme elle n’en avait jamais vu. Elle le regarda s’éloigner en songeant :

— Comme ces bourgeois réfléchissent à une foule de questions !… Serait-il venu à l’idée de papa de penser à la peine que se donnerait maman dans leur ménage ?… Elle s’est peut-être usée au travail, qui sait ?… Et, cependant, il n’y a pas meilleur que papa…