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marane la passionnée

Ils parlaient affaires, et, sans fausse honte, j’écoutai : les mots loyer, redevances, baux, sommes impossibles, revenaient dans l’entretien.

L’accent de Chanteux s’élevait de plus en plus autoritaire, tandis que celui de maman s’affaiblissait.

« Ma pauvre maman a peur », me dis-je, et je m’en allai.

Je partis pour une promenade. Je parcourus la garenne qui était au fond du parc. Des bécasses s’envolèrent, des lapins s’enfuirent devant moi, mais je ne les épouvantais pas, aimant les animaux.

Enfin, je rentrai au manoir. Chanteux en sortait seulement, et j’évoquai le supplice de maman.

Je cherchai ma mère, et la trouvai dans sa chambre. Elle était soucieuse :

— Sois gaie, maman ! dis-je pour la distraire… Évariste sera ici ce soir !

— Ah ! je n’ai plus beaucoup de courage… J’espérais que nous pourrions effectuer un petit déplacement… mais Chanteux a prétendu que c’était impossible. Il y a quatre têtes de bétail que l’on n’a pu vendre.

— Encore !… ce Chanteux est un homme de malheur !

— Oh ! tais-toi ! si on t’entendait !

— Cela m’est égal !

— Non, Marane, tais-toi… ce régisseur fait de son mieux… Ce n’est pas de sa faute si les murs s’écroulent et si la bergerie a eu une épidémie…

— Et si le cheval d’Évariste boite… ajoutai-je avec quelque ironie.

— Aussi ?… s’écria maman… Que va dire ton frère ?

— Il ne fera pas de colère, il est calme. C’est bon pour moi ces transports inélégants. Oh ! cet homme, si je pouvais le jeter à la porte. !

Ma mère tremblait.

— Pourquoi donc as-tu peur de lui ?

— Moi ? s’écria maman, tu es folle… Peur de lui ! je suis seulement désolée qu’Évariste n’ait pas son cheval et que nous ne puissions changer d’air.

Ma mère s’appuya au dossier de son fauteuil d’un air si las que la pitié m’entra dans le cœur.