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marane la passionnée

restai au logis et, le lendemain, j’allai à la messe sans suivre ma mère à la table de communion.

Le jour de la fête des Morts, je ressentis une tristesse horrible. J’appelai mon père à l’aide.

Je fus comme une somnambule toute la journée et le goût de la solitude s’accentua en moi.

Je décidai de ne me marier jamais. Je serais allée dans un couvent si je n’avais eu ma mère. Le poids de l’existence me terrassait. Je ne trouvais plus rien de beau, ni de bien, hormis mes chiens.

Je passais de longues heures à rêver que j’étais une ondine et que je m’enfonçais dans l’abîme de la mer. Je planais à la crête des vagues, je redescendais dans leur creux, je me fondais avec l’écume et je courais parmi la tempête.

Je me réveillais, brisée de ces songes, l’esprit alourdi, le cœur serré.

Je fuyais presque les vivants, je ne parlais presque plus à ma mère, moi qui aimais tant échanger mes idées et dire tout ce qui me passait par la tête.

Maman me contemplait, effrayée. Cependant, elle me demandait :

— Pourquoi ne soignes-tu plus ta toilette, Marane ?

— Je ne sais pas… Je ne pense plus à ces choses…

— À quoi penses-tu donc ?

— À l’infini… Les étoiles me réconfortent, la mer m’appelle…

— La mer !… L’eau !… Veux-tu insinuer ?…

Je frissonnais quand ma mère me rappelait ce souvenir et je restais dans un malaise que je ne pouvais surmonter.

Je réunissais mes efforts pour changer de sujet, mais elle m’interrompait pour me lancer des paroles dures.

— Tu deviens comme une paysanne, sans goût, ni grâce… Tu as un air vieux et malade. Tu ne parais plus une jeune fille de dix-huit ans bientôt, mais une femme de trente qui n’a plus de jeunesse.

— Pourquoi me répéter ces phrases ?

— Pour que tu te reprennes.

Je n’étais pas mortifiée par ces mots.