— Tu causes avec les ouvriers, maintenant !
— Oh ! je n’ai pas attendu à aujourd’hui.
— C’est vrai, répartit ma mère avec un peu d’ironie, ce n’est pas de ce jour seulement que tu te lies avec les inférieurs.
— Ne sois pas caustique, maman.
Je prononçai ces mots en riant.
— Comment peux-tu rire ?
— Parce que je suis jeune, sans doute ! Ce M. Descré est marié ; je suppose qu’ils ont des enfants. C’est l’habitude des gens mariés.
Maman n’eut pas l’air d’entendre ce que je disais. Puis, soudain, elle m’annonça :
— Ah ! mon Dieu ! j’oubliais de te faire part d’une nouvelle.
— Laquelle ? demandai-je avec indifférence.
— Jeanne de Jilique est morte.
Je bondis du siège sur lequel je me reposais et je criai :
— Oh !… Et quand cela est-il arrivé ?
— Voici le billet de faire part. Sa mère est probablement désespérée, parce que je n’ai pas reçu un mot, un détail. Il y a un mois que ses obsèques ont eu lieu.
— Mon Dieu !
J’étais bouleversée.
— Pourquoi ne nous a-t-on pas prévenues plus tôt ?
— Je l’ignore.
— Tu vas écrire à ta cousine ?
— Naturellement.
— Quelle étrange nouvelle. Il y a à peine un an qu’elle était mariée. Qu’a-t-il pu lui arriver ?
— Peut-être le saurons-nous un peu plus tard, mais, depuis que tu es allée dans cette famille, elle nous témoigne tant de froideur que je ne sais si nous serons au courant.
À peine si j’écoutais ma mère. Un hébétement me saisissait. Il ne me semblait pas que Jeanne pût être morte. Je la revoyais, telle qu’elle s’était présentée à moi pour la première fois, douce et si séduisante. Tout ce charme était fini à jamais, et je trouvais cela horrible.
Je m’accusais d’avoir été cruelle envers elle et d’avoir envié son bonheur.