Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
128
marane la passionnée

Maman me regarda et me dit :

— On ne dirait pas que tu as été malade, ou, pour mieux m’exprimer, je dirai que je doute de ta maladie. Je ne sais quelle lubie étrange t’a prise.

J’étais démasquée…

Je ne pouvais pas expliquer ma pensée. J’étais lasse de lutter avec maman et je ne voulais plus de ces discussions à vide.

Je ne répondis donc rien. Je découvris, ce jour-là, que le silence était une qualité précieuse.

Je convenais pourtant que l’ennui pouvait en naître, mais je l’appréciai comme un ami.

C’était un asile où l’on entassait ses soucis.

— Tu ne réponds rien, me dit maman, donc j’ai deviné juste. Je sais, maintenant, que tu as joué à la malade pour ne pas assister aux offices. Tu te dérobes à tes devoirs religieux. Tu as un poids sur la conscience dont tu ne peux te décharger.

Je forçai mon visage à être de marbre.

— Tu ne veux pas parler, poursuivit maman, mais je lis dans tes yeux. Ton front est plein d’ombre et tes lèvres se resserrent sur leur secret ; tu as vieilli de dix ans. Tu n’as plus de jeunesse, tu n’as plus de fraîcheur.

— Tant mieux ! éclatai-je ; je voudrais voir les années tomber aussi rapidement que les flocons qui s’écrasent sur la terre. Ah ! être au bord du Ciel, y entrer le front rayonnant, voir un Dieu juste qui vous ouvre ses bras ! Ne rien expliquer parce qu’il comprend tout ! C’est beau, n’est-ce pas, ma mère ?

Je m’étais exaltée en parlant, tandis que maman scrutait mon visage.

Puis, soudain, je partis d’un éclat de rire et je criai un peu plus fort :

— À quoi me servirait ma jeunesse ? Je ne veux pas quitter ce pays. Il me faut le rugissement de la mer et la plainte infinie de ses flots, il me faut les courses folles à travers la lande, et les vieilles roches où je me recueille. Que ferais-je dans une ville ?