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marane la passionnée

coiffai d’une sorte de casquette à mentonnière, et je m’acheminai vers les Crares, suivie de Rasco et Sidra. Ils contemplaient avec inquiétude ma mante sous laquelle se dissimulaient mes nattes.

Mon cœur battait violemment. L’après-midi était voilé. C’était un vilain temps de mars brumeux, ni froid, ni chaud. Ordinairement, je ne prêtais nulle attention à l’atmosphère, mais j’en subis la dépression ce jour-là.

Je pressentais obscurément que les heures ne se passeraient pas sans imprévu. J’eus la velléité, un instant, de rebrousser chemin ; mais une force me poussa en avant.

Je m’en allais lentement. À mesure que je me rapprochais de mon but, mes pas se faisaient plus lents encore, alors que mes pensées étaient tumultueuses.

Mon esprit s’appesantissait davantage sur Mme Descré. Cet après-midi-là, elle tenait le premier plan dans mon imagination. Elle ne m’apparaissait plus comme une déesse qui ordonnait, mais comme une victime qui suppliait. Je lui octroyais mes grâces et je lui promettais de ne pas lui prendre son mari.

Toutes ces rêveries me tournaient la tête. Je marchais le front baissé. Soudain, quand je le relevai, j’aperçus, non loin de moi, de dos, celui que je supposais être M. Descré.

Un nuage voila mes yeux. Une dame l’accompagnait. Sa silhouette ne ressemblait pas à celle que j’avais évoquée. Elle m’apparut petite, élégante, avec des mouvements vifs et décidés.

Je m’arrêtai, bouleversée. Une affreuse douleur me terrassa. Je n’avais pas imaginé que la jalousie me causerait la souffrance terrible que je ressentais. Les dix-huit ans que j’allais avoir se révoltaient de toute leur jeunesse.

J’avais voué à cet inconnu une affection imprévue et confiante. J’aurais voulu que sa vie ne recélât plus que la joie donnée par moi. Une émotion ardente m’empoignait.

Mon cœur éperdu le contemplait.

Mais, à côté de lui, « sa femme » était la réalité qui empêcherait mon avenir de s’épanouir. Je dus, de toute ma volonté, me signifier que je ne vivrais jamais dans sa demeure.

Ah ! j’apprenais à mes dépens l’éloquence de l’amour !