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marane la passionnée

pour mes dix-huit ans, je devais avoir cette joie. J’y comptais fermement.

Je partis avec mes chiens. Le temps était frais, agrémenté d’une brise qui faisait voltiger ma cape. Rasco et Sidra humaient l’air en aboyant joyeusement. Je sentais dans l’atmosphère une amabilité, un épanouissement riant qui me transportaient. Tout était accueillant : le sentier, le roc, le buisson, l’oiseau qui volait au-dessus de ma tête et le ronronnement des flots.

Quand j’arrivai sur la plate-forme étroite d’où j’embrassais l’étendue, mon cœur se dilata. Il me vint des élans de bonté, de larges ondes d’espérance. Je remerciais Dieu qui me faisait comprendre la nature.

Mon chagrin passé se dissolvait, mon souci s’envolait et mon secret lui-même était léger.

Je ne doutais pas une minute que M. Descré ne ressentît la même émotion que moi. Les éléments nous donnaient la leçon d’une grandeur pacifiante. Je me découvrais des indulgences infinies et j’aurais voulu que tous les prisonniers de l’univers sortissent de leurs geôles et saluassent le printemps comme un libérateur.

Ah ! j’aimais Dieu dans ces moments-là, avec une ferveur sans pareille. Je lui étais reconnaissante de m’avoir créée et je lui demandai de vivre longtemps pour assurer le bonheur de Ned Descré.

J’étais persuadée que j’étais la seule femme qui pût le rendre heureux, la seule épouse qui saurait lui faire oublier son chagrin.

Pendant un court moment, j’eus encore un accès de jalousie en songeant que celle qu’il avait aimée avait été souveraine de son cœur et qu’elle avait régné sur sa volonté.

Je me trouvais frustrée. Subitement, je pensais que j’aurais dû être l’unique. J’arrivais trop tard et cela me troubla quelque peu. Mais je reconquis vite ma sérénité en me disant que c’était à ce premier mariage que je devais de connaître ce futur compagnon.

Ces réflexions occupant mon esprit, je voyais plus rien autour de moi.

J’évoquai « Ned ». Je fermai les yeux durant quelques minutes. Quand je les rouvris, il était devant moi.