Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
169
marane la passionnée

Je répondis avec dignité :

— Merci, Monsieur. Je possède les qualités dont vous me complimentez, Je serais une sotte de ne point les reconnaître, et je n’ai pas à user d’une modestie qui ne serait pas de mise devant un tel paysage. Ici, tout est sincère, et nos paroles doivent être de même.

Il y eut un temps d’arrêt dans notre entretien. Évidemment, ma franchise surprenait M. Descré. Je devinais que sa femme ne l’avait pas habitué à une telle netteté de sentiments.

— J’avoue, me dit-il, à l’appui de ce que je pensais, que je n’étais pas accoutumé, dans le monde où j’ai vécu, d’entendre parler de cette manière.

Quels points je gagnais ! Il ajouta :

— La fraîcheur de vos idées, en même temps que leur maturité, m’émeut. Est-ce le calme de ce pays qui me force à juger les choses sous un autre aspect ?

— La nature qui vous enveloppe a ce pouvoir, mais elle n’agit que sur les cœurs purs. Les méchants ne l’aiment pas. Mais quand vous verrez, le soir, les étoiles scintiller au-dessus de la mer et la lune rire dans le ciel, vous goûterez davantage encore sa bienfaisante puissance. Avez-vous déjà vu le rayon qui danse sur l’eau, comme une libellule ? Ah ! Monsieur, être un rayon, une libellule, une perle de rosée !

— Mais, Mademoiselle, vous avez une âme au sens poétique très développé ! s’écria M. Descré, avec un regard sérieux.

Je crois qu’il oubliait que j’avais des lunettes. Je fus détrompée, parce qu’il demanda :

— Avez-vous donc les yeux si fatigués que vous ne pouvez vous passer de ces… de ces…

— … Affreuses lunettes ! achevai-je sans rire, hélas ! oui, Monsieur, à force de lire la politique, les romans, les articles à Mme de Caye, j’en suis là.

— Pauvre Mademoiselle ! Il est dur de gagner sa vie.

Je me dispensai de répondre. Une joie m’envahissait : M. Descré épouserait certainement la demoiselle de compagnie de la comtesse de Caye.

Je pensai soudain que je me compromettais au sens conventionnel du mot en restant ainsi seule avec un jeune