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marane la passionnée

détail. J’étais lasse de ma course en mer. Je dormis comme une pierre, mais me réveillai de bonne heure.

J’avais besoin d’air. Je partis vers la mer avec mes chiens. Le soleil se levait. Une brume se dissolvait, formant des draperies pâles.

Je monologuais, tout en escaladant la falaise :

— Un ami… alors on passe par tout ce que l’ami veut ? Quelle drôle de chose ! Peut-être est-ce agréable… Je voudrais essayer, mais je suis si fantasque…

Je restai songeuse un instant, distraite par la vue de la mer. Je m’assis sur une roche, puis je repris mon soliloque. J’avais besoin d’extérioriser mes pensées.

— Ce monstre de Chanteux fera mourir maman à petit feu, parce que jamais la situation ne s’améliorera, jamais… Mais comment sortir de là ? Évariste est encore jeune, et il ne sait pas bien vouloir. Peut-être saura-t-il mieux plus tard, quand ses études seront terminées.

Puis, après un moment de contemplation, je repris :

— Je serai peut-être fort bien, chez les cousines de Jilique, mais cela m’ennuie de laisser maman seule. Elle ne veut pas séjourner là-bas avec moi, sous prétexte que cela sera plus profitable pour mon perfectionnement de me savoir en face de mon initiative chez les autres. Je suis de son avis. Seulement, je suis contrariée de l’abandonner. Pauvre petite maman ! elle ne s’en doute pas, mais je veille sur elle. Ah ! que la mer est belle ! Elle m’enchante chaque jour davantage. On serait bien ici, s’il n’y avait pas Chanteux.

— Pourquoi ne faudrait-il pas Chanteux ?

C’était lui-même qui m’adressait cette question. Je me redressai devant le régisseur qui me saluait, le chapeau bas.

— Vous m’espionnez ?

Mon accent manquait peut-être de politesse.

— Je ne vous espionne nullement ! Je me promenais, parce que, moi aussi, j’aime la mer. Le lever du soleil est particulièrement beau ce matin. C’est par hasard que j’étais derrière vous. J’ai entendu votre phrase, tant pis pour moi ! Vous me trouvez donc bien gênant ?

Les yeux de Chanteux me regardèrent en face. Nous nous bravions.