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marane la passionnée

du trouble, lui enlevait toute possibilité d’affronter le combat.

Nous patientions. Le manoir était confortable parce que M. Amédée Chanteux y veillait. Si nous n’avions qu’un argent parcimonieux, il ne négligeait aucune amélioration intérieure, de façon que les oiseaux puissent se plaire dans leur cage.

M. Chanteux avait fait de bonnes études et avait appris à être bien élevé, mais, parfois, son éducation première le trahissait.

Nous prenions des leçons avec un vieux précepteur très savant qui nous enseigna dans la perfection. Nous aimions l’étude, mais je préférais la nature. J’étais infatigable et je connaissais tous les alentours. Ce jour-là, j’avais prolongé ma course. Nous étions en automne et cette saison me ravissait.

Quand je m’assis à table, je m’écriai :

— C’est demain que rentre Évariste !

Mon frère devait passer quelques jours à la maison. Il habitait chez un ecclésiastique, à Rennes, où il suivait des cours pour l’École centrale.

Le vent d’automne secoua les girouettes. La mer mugit dans le lointain. Maman tressaillit et dit :

— Il y aura une tempête cette nuit.

— Tant mieux ! c’est si beau.

Je ne réfléchissais pas aux conséquences.

Ma mère me contempla.

Je savais que son désir eût été d’avoir une fille douce, sensible, avec un cœur timide comme le sien. Mais ce n’était pas mon genre.

J’avoue que je ne connaissais pas grand’chose de mon caractère, ne m’analysant jamais. Quant à mon physique, je ne m’en occupais guère. Je n’ignorais pas cependant que mes cheveux étaient blonds. Je les tressais en deux nattes épaisses.

— Évariste a de la chance d’être à Rennes !… Je voudrais bien habiter une ville pendant quelques jours… Oh ! pour voir ce que c’est… Je m’habituerais difficilement à y rester toujours.

Maman ne me répondit pas, plongée dans une rêverie.