Aller au contenu

Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
marane la passionnée

Il y eut quelques instants de silence durant lesquels je réprimai ma rage. J’aurais voulu battre cet homme abominable. Mais comme je tenais à entendre la suite de cet entretien, je me dominai de mon mieux.

J’étais convaincue que mon frère était sauvé de ce vice affreux. Maman et moi l’avions supplié de ne pas revenir au manoir tant que Chanteux ne s’en absenterait pas, et il avait obéi à ce désir.

Maman reprit faiblement, si faiblement que je ne l’entendis qu’avec peine :

— Si Évariste devient vraiment un incapable, j’espère que ma fille trouvera un mari qui nous secondera.

Mlle Marane ! Qui voulez-vous qu’elle épouse, Madame ? Sa dot sera mince et sa réputation est assez mal en point.

— Mon Dieu ! murmura ma mère.

Mlle de Caye a usé de trop de liberté. Elle court les chemins, vous le savez, elle fraternise trop avec les ouvriers agricoles, ce qui n’est pas de bon goût.

— Elle n’est pas familière ! s’écria maman pour ma défense.

Chanteux continua, dédaigneux :

— Quel est le châtelain de bon renom qui voudra se charger d’une jeune fille aussi indisciplinée, qui promet de devenir une jeune femme des plus indépendantes ? La mère de Jean-Marie, une de vos fermières dévouées, m’a mis au courant de la familiarité qui existait entre Mademoiselle et son fils. Vous l’ignoriez sans doute ? Ah ! le nom que porte Mlle de Caye ne l’arrête pas !

— Taisez-vous ! cria maman comme une lionne. Ma fille a giflé ce jeune garçon qui s’était permis d’être familier.

— Et vous trouvez, Madame, que ce n’est pas une grande faute d’avoir joué du cœur neuf d’un charretier ?

— Ah ! protesta ma mère d’une voix défaillante, la haute pureté de cette enfant n’a pas été comprise ; elle a voulu élever jusqu’à elle ce petit paysan et elle a été trahie.

Maman était vaincue, car je n’entendis plus que des sanglots et je me sauvai.

J’étais dans un état indescriptible. J’aurais tué Chanteux ! Je courus comme une folle dans le parc. Tous les supplices,