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— Je suppose que je la reverrai, parce qu’elle aime les parfums… Il lui semblait qu’elle était dans un beau jardin… Elle est fort jolie et a de bonnes manières…

— C’est une poseuse, répliqua Roger Ritard.

— Je vois qu’elle t’a éblouie… méfie-toi… gare à tes fioles !

— Pas du tout… elle est très simple.

Des filles qui s’introduisent chez les gens pour un rien ont vite fait de subtiliser un flacon.

Mme Ritard s’apeurait. Son fils représentait toute l’intelligence et la loyauté du monde. C’était un homme qui restait correct dans le milieu ouvrier. De nature délicate, il ne suivait pas ses compagnons dans les réunions sportives. Il préférait la lecture et, le dimanche, il se promenait avec sa mère dans quelque banlieue calme et finissait la journée sur un livre captivant.

Il avait vingt-cinq ans et, jusqu’alors, aucune jeune fille n’était entrée dans sa vie. Tout ce qu’il avait lu l’avait affiné et, quand il voyait décrite une héroïne à la beauté suave, il rêvait…

Presque dédaigneusement alors il regardait les ouvrières qui passaient devant lui. Pourtant, il lui arrivait des éclairs de bon sens et il se disait : Tu n’es qu’un ouvrier et tu ne pourras te marier que dans ton milieu. Dans ces cas-là, il maudissait les livres qui le poussaient sur une montée qui n’était pas la sienne et le conduisait vers un sommet duquel il ne pourrait que tomber.

Souvent, pris de tristesse, il se replongeait dans la condition de ses pareils, parlait leur langage, en l’émaillant de quelques mots grossiers.

Il était agréable de visage. Blond cendré, avec des yeux gris, le teint pâle à peine rosé. Il était grand, mince, avec des gestes un peu nonchalants, ce qui lui donnait une certaine distinction.

Sa mère l’entourait de soins, craignant toujours une terrible hérédité, celle du père, mort tuberculeux. Leur docteur, cependant, les rassurait parce que le père, employé chez un déménageur, avait reçu, un jour, un lourd meuble sur la poitrine, ce qui avait, provoqué un abcès tuberculeux. Peut-être avait-il le germe en lui ?

Le médecin concluait que cette tuberculose était purement accidentelle. La santé de Roger confirmait cette hypothèse, et Mme Ritard s’adonnait à l’espoir en constatant que son fils ne souffrait d’aucun malaise.

Ce soir-là, après qu’il eut écouté sa mère, il rêva de cette jeune inconnue et se surprit à désirer la voir.

Elle devait être différente des autres pour que sa mère l’appréciât à ce point.