Page:Fiel - Prudence Rocaleux, 1945.pdf/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
prudence rocaleux

suffit pas pour une maison. Je voudrais savoir où l’on affûte les couteaux, parce que, sans froisser Madame, je peux assurer qu’y n’ coupent pas plus qu’une règle…

— Bon, je vous indiquerai le magasin où je les donne d’ordinaire.

Prudence reprit :

— J’ai trouvé Monsieur fort agréable. Peut-être un peu fiérot, mais comme Monsieur est dans la justice, ce n’est pas un mal, ça fait peur aux voleurs. Quèque chose aussi m’a gênée… Pourquoi que vous ne tutoyez pas vot’ mari ? Ça n’a pas l’air amitieux. Je tutoyais mon Ernest, et il n’y trouvait pas de mal… Quant à ce bon petit qui « vouvoie » sa maman, quel malheur de voir ça… c’est pas des manières.

À ces appréciations, Mme Dilaret n’eut pas le temps de répondre, Prudence enchaîna :

— C’est un bon petit gars, pourtant ! il est aimable, il est rieur. Je me sens toute sucrée quand je le regarde et je ferais des folies pour ce petiot. Oh ! entendons-nous, Madame, je ne veux pas le séduire ; quand je parle des folies, c’est à la cuisine que je pense… des plats doux, des mignoteries… qu’il me dise ce qu’il aime, et il sera servi.

Mme Dilaret, qui avait d’abord eu peur, commença un fou rire inextinguible.

Prudence se planta devant elle, les mains croisées à la ceinture et murmura :

— La v’ là comme mon autre patronne. Je ne peux pas ouvrir la bouche dans le tête-à-tête sans que ça rie comme des grenouilles.

Et, dignement, elle sortit de la pièce, tandis que Mme Dilaret, suffoquée par une telle insolence, reprenait son sérieux.

— Je vais la renvoyer, murmura-t-elle, mais le mouvement commencé s’arrêta.

Elle s’avisa que la vie serait peut-être