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prudence rocaleux

répond. — Vous êtes une insolente ! que je redis. » Vous comprenez, Madame, le rouge me montait. « Très bien ! qu’elle fait. Mon père est sénateur et vous allez avoir un de ces petits emprisonnements pour avoir dit du mal de moi, qui vous fera réfléchir. » Voilà ! Madame, ce que j’ai rapporté dans mon filet à provisions ! Vous comprenez que j’ai eu les lèvres cousues après l’algarade ? Je me sentais devenir pâle comme une mourante, et la fatigue aidant, j’ai cru m’évanouir. Puis, par surcroît, la jeune triomphait. Les rieurs étaient de son côté ; il y avait un vide autour de moi, vu que si j’étais tombée, je me serais étalée de tout mon long, tellement il y avait de la place.

La pauvre Mme Dilaret était tellement ennuyée qu’elle ne pouvait pas parler, ce qui permit à Prudence de continuer son histoire.

— Ce que les honneurs changent les gens ! Dès que la petite a eu parlé de son légume de père, tout le monde a fait un pas vers elle, comme pour la défendre contre le tigre que je devenais ! Vous comprenez, si qu’on avait besoin d’un ticket, on courait chez ce grand homme en disant : « J’ai défendu vot’ enfant contre un monstre de femme, donnez-moi une carte de beurre, ça vaut bien ça ! » Ah ! je devine les roueries des gens, je ne suis pas sotte. Je sais que je pourrais avoir plus de malice ainsi, j’ai manqué le coche pour lui crier : « Et moi, j’ suis la cousine d’un général, et tu verras, ma petite, ce que t’auras comme salle de police. »

Là, Mme Dilaret se prit à rire de tout son cœur, mais elle reprit vite son sérieux pour demander :

— Comment cela s’est-il terminé ?

— Ça c’est le gros souci qui me met le cœur à la balançoire. Le commis épicier m’a servie