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prudence rocaleux

sonnée, puis j’aurais du chagrin de ne plus voir M’sieu Jacques, et ça c’est plus fort que moi. J’ai eu le coup de foudre pour ce garçon. Oh ! en tout bien tout honneur, comme Madame le sait. Si Madame est bonne mère, elle peut sentir ce que je sens. Alors, l’offre de la campagne ne me tente pas. C’est beau, c’est bon, j’en rêve quand je vois les œufs pas frais et les poulets rares ; mais la ville est faite pour moi. J’aime son animation, et mon intelligence y galope… Lyon est une ville épatante ; je m’y instruis. Ainsi, je sais que des grands hommes y sont nés. Je ne me souviens plus de leurs noms, mais dans un guide qu’on vend et que j’ai acheté ils y sont tous, alors ce n’est pas la peine de me fatiguer la mémoire… Et pis, il y a des églises ! Oh ! Madame, on a l’embarras du choix. Tous les dimanches, je vais à la Messe à une autre. J’y vois mes saints et le bon Curé d’Ars. Ah ! ce qu’il en avait de la patience, celui-là ! En a-t-il confessé des gens ! Ils le martyrisaient, le pauvre homme. Enfin, là-haut, il est tranquille et il l’a mérité ! C’est pas lui qui envoyait les gens à la campagne, ah ! non… Quant à mon petit saint Expédit, il me fend le cœur avec sa bonne figure. Mourir si jeune, ça m’a semblé dur, et je le prie de toutes mes forces. Il m’accorde souvent des grâces. Puis, il y a saint Pothin. J’ai vu son cachot, oh ! là ! là ! quelle misère ! et la petite sainte Blandine… Tout cela me fait passer un temps merveilleux. La bonne Vierge m’a conduite ici par la main pour que je trouve la fortune.

— Vous m’exaspérez, Prudence !

— Oh ! je m’efforce d’être muette, mais y faut ce qu’il faut. Pour en revenir aux avances de Madame, je crois qu’elle a trop de cœur pour m’enlever à tous mes saints et