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orgueil, facile à blesser, s’irrita du mépris que sa femme commençoit à lui témoigner, et ce dépit, joint à la satiété d’un amour depuis long-temps importun, remplit son cœur du plus vif sentiment de dégoût et d’aversion.

Il n’y a réellement dans le mariage qu’une manière d’être qui en exclue tout-à-fait le plaisir, c’est l’état d’indifférence. Si, comme nous l’espérons, la plupart de nos lecteurs connoissent, par expérience, la douceur que l’on goûte à rendre heureux l’objet de sa tendresse, quelques-uns aussi, nous le craignons, ont éprouvé la satisfaction qu’on trouve à tourmenter l’objet de sa haine. C’est sans doute pour se procurer ce dernier genre de volupté, que tant d’époux se privent du repos dont ils pourroient jouir, malgré une fâcheuse opposition d’humeur et de caractère. De là dans une femme ces feints transports d’amour et de jalousie, ce refus constant de tous les plaisirs, pour mettre obstacle à ceux de son mari ; de là dans un mari cette contrainte habituelle qu’il s’impose, cette obstination à rester enfermé chez lui avec une compagne qu’il déteste, pour la réduire à l’unique société d’un compagnon qu’elle ne déteste pas moins ; de là encore ces torrents de larmes dont une veuve arrose les cendres d’un époux, qu’elle abreuva d’amertume pendant sa vie, et qu’elle regrette de ne pouvoir plus faire enrager après sa mort.