Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 1.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’y livrer ; que la beauté de la soirée avoit peut-être engagé le capitaine à prolonger sa promenade, ou qu’un voisin l’avoit retenu à souper. Mistress Blifil répondit qu’elle n’en croyoit rien ; que son mari avoit certainement éprouvé quelque accident, qu’il savoit combien elle étoit prompte à s’alarmer et ne s’arrêtoit jamais chez personne sans lui en donner avis.

La dame ayant épuisé tous les arguments, eut recours aux prières ; elle conjura mistress Blifil de ne point s’abandonner à des terreurs qui pouvoient compromettre sa santé, et, remplissant un verre de vin, elle l’invita et finit par la décider à le boire.

M. Allworthy, qui avoit été lui-même à la recherche du capitaine, rentra en ce moment, tout consterné, et presque privé de l’usage de la parole ; mais, comme la douleur affecte diversement les différents caractères, la même émotion qui comprimoit sa voix, donna l’essor à celle de mistress Blifil. Elle proféra des plaintes amères qu’elle accompagna d’un torrent de larmes. L’ingénieuse amie, tout en approuvant son affliction, essaya d’en modérer l’excès, par des réflexions philosophiques sur les nombreuses traverses dont la vie humaine est semée, et sur la nécessité de s’armer de courage, pour supporter les coups du sort, quelque terribles et quelque soudains qu’ils