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obligé de montrer notre héros sous un jour beaucoup moins avantageux que nous ne l’aurions souhaité, et de déclarer avec franchise, dès sa première apparition sur la scène, qu’il n’y avoit personne dans la maison de M. Allworthy, qui ne le crût destiné à être pendu.

Cette conjecture, nous le disons à regret, ne paroissoit que trop bien fondée. Le petit fripon, presque au sortir du berceau, annonçoit du penchant pour beaucoup de vices, et notamment pour celui qui mène en droite ligne à la fin tragique que chacun lui prophétisoit. Déjà il avoit été convaincu de trois graves délits : d’avoir volé des fruits dans un verger, dérobé un canard dans la cour d’une ferme, et pris la balle de M. Blifil dans sa poche.

Ses défauts étoient d’autant plus frappants, qu’ils contrastoient avec les vertus de son compagnon, jeune homme si accompli, que la maison de l’écuyer et tout le voisinage retentissoient de ses louanges. M. Blifil sembloit né, en effet, de la manière la plus heureuse ; il étoit sobre, discret, religieux, plus qu’on ne l’est d’ordinaire à son âge. Ces qualités lui avoient gagné l’affection de tous ceux qui le connoissoient, tandis que Tom Jones étoit l’objet de l’aversion générale ; et bien des gens s’étonnoient que M. Allworthy eût l’imprudence d’exposer les mœurs de son neveu à la contagion du mauvais exemple, en le faisant élever avec un tel vaurien.