Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 1.djvu/252

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étoit libre et hardie. Elle avoit si peu de modestie, qu’on pouvoit dire que son amant se montroit plus soigneux de sa vertu qu’elle-même. Comme sa passion égaloit, selon toute apparence, celle de Tom, moins celui-ci témoignoit d’empressement, plus elle redoubloit de prévenances. Lorsqu’elle vit qu’il cessoit de venir chez son père, elle chercha toutes les occasions de se trouver sur son chemin : elle en fit tant, qu’il eût fallu que Tom eût été le plus grand, ou le plus mince des héros, pour qu’elle n’atteignît pas le but où elle aspiroit. En un mot, son triomphe fut complet ; nous disons son triomphe, car, malgré la résistance qu’elle crut devoir faire à la fin, il est juste de lui attribuer une victoire qu’elle dut tout entière à la constance de ses efforts.

Elle joua néanmoins si bien son rôle, que Jones crut être le vainqueur, et s’imagina que Molly n’avoit fait que lui rendre les armes. Il aimoit aussi à voir dans sa défaite la preuve d’un violent amour ; et cette dernière supposition paroîtra naturelle, si l’on se rappelle la peinture que nous avons faite plus d’une fois de la beauté singulière et de la bonne grace de notre héros.

Il y a des gens, tels que M. Blifil, si idolâtres d’eux-mêmes, qu’ils n’envisagent jamais que leur intérêt et leur satisfaction personnelle, qui regardent d’un œil indifférent le bien et le mal d’au-