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— Cessez de m’étourdir de votre impertinent babil, s’écria Sophie, et allez voir si mon père ne m’attend pas pour le déjeuner ? »

Honora sortit, en marmottant entre ses dents quelques mots peu respectueux, qui n’arrivèrent pas aux oreilles de Sophie.

La conduite de cette fille justifioit-elle les soupçons de sa maîtresse ? C’est un point, cher lecteur, sur lequel il nous est impossible de satisfaire ta curiosité. En revanche, nous allons te peindre ce qui se passoit dans le cœur de Sophie. Tu te souviens qu’une secrète affection pour Jones s’y étoit insinuée peu à peu, et y avoit fait, à son insu, de grands progrès. Lorsqu’elle en aperçut les premiers symptômes, ce sentiment lui parut si doux, si délicieux, qu’elle n’eut pas la force de l’étouffer, ni même de le combattre ; et elle se plut à nourrir une passion dont elle n’envisageoit point les conséquences.

L’aventure de Molly commença à lui ouvrir les yeux ; elle reconnut sa foiblesse. Cette découverte lui causa un trouble extrême, et, produisant l’effet d’un remède amer et violent, elle la guérit momentanément. La métamorphose fut si prompte, que tous les symptômes d’amour disparurent de son cœur, pendant la courte absence de sa femme de chambre. Au retour d’Honora, Sophie avoit recouvré un calme parfait, et n’é-