Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 1.djvu/294

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J’aurois voulu, je vous jure, vous garantir du moindre mal, au prix d’un accident beaucoup plus grave que celui qui m’est arrivé.

— Quel accident ? répliqua vivement Sophie. Vous n’êtes pas blessé, j’espère ?

— Soyez sans inquiétude, mademoiselle, vous avez échappé, grace au ciel, à un bien grand péril. Qu’est-ce qu’un bras cassé, en comparaison de ce que j’ai craint pour vous ?

— Un bras cassé ! à Dieu ne plaise !

— Je le crois, mademoiselle ; mais souffrez, je vous prie, que je commence par m’occuper de vous. Il me reste un bras pour vous aider à traverser le champ voisin, d’où il n’y a plus qu’un pas jusqu’au château de votre père. »

Sophie voyant le bras gauche de Jones qui pendoit à son côté, tandis qu’il lui prêtoit de l’autre un appui, ne douta plus de la triste vérité. Elle devint alors beaucoup plus pâle qu’elle ne l’étoit auparavant, quand elle ne craignoit que pour elle seule. Tous ses membres furent saisis d’un tel tremblement, que Jones avoit peine à la soutenir ; et son esprit n’étant guère moins agité que son corps, elle ne put s’empêcher de jeter sur son jeune guide un regard où se peignoit une émotion si tendre, que la reconnoissance unie à la pitié n’en sauroit produire une semblable dans le cœur d’une femme sensible, sans le secours