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fut saisie. Quant à Tom, il éprouva de si vifs transports, une telle ivresse à la vue de son amante, qu’il oublia un instant Sophie et le principal objet de sa visite.

Il en rappela bientôt le souvenir. Après de mutuelles effusions de tendresse, il fit tomber insensiblement la conversation sur les suites funestes qu’auroit leur liaison, si M. Allworthy apprenoit, qu’au mépris de ses défenses, ils continuoient à se voir. Cette découverte, que la malice de leurs ennemis rendoit, dit-il, inévitable, les perdroit tous deux. Puis donc qu’un destin rigoureux les condamnoit à une cruelle séparation, il conjuroit sa chère Molly de s’y résigner avec courage. Il juroit de ne laisser échapper, dans le cours de sa vie, aucune occasion de lui donner des preuves d’une affection sincère, et de surpasser, s’il en avoit jamais le pouvoir, ses espérances et même ses vœux. Enfin, il lui fit espérer que, dans peu, une union sortable et légitime pourroit la rendre infiniment plus heureuse, qu’elle ne le seroit jamais en prolongeant avec lui un coupable commerce.

Molly garda une minute ou deux le silence, puis fondant en larmes : « Est-ce donc là, s’écria-t-elle, l’amour que vous avez pour moi ? M’abandonner ainsi, après m’avoir perdue ! Ah ! quand je vous disois que tous les hommes sont faux et