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fut versé, il envoya chercher mistress Wilkins, et dit à sa sœur qu’il avoit un présent à lui faire. Elle le remercia, s’imaginant sans doute qu’il s’agissoit d’une robe, ou de quelque ajustement nouveau. M. Allworthy lui donnoit souvent de ces bagatelles, et miss Bridget, par complaisance pour son frère, passoit beaucoup de temps à sa toilette : nous disons par complaisance pour son frère, car elle affectoit de mépriser la parure, et les femmes qui en font leur principale occupation.

Mais si elle s’étoit bercée d’un agréable espoir, quel fut son mécompte, lorsque mistress Wilkins, suivant l’ordre de son maître, apporta l’enfant ! On a observé que les grandes surprises sont muettes. Miss Bridget garda un profond silence, jusqu’à ce que M. Allworthy prît la parole, et lui racontât l’histoire que le lecteur sait déjà.

Miss Bridget avoit toujours montré tant de respect pour ce qu’il plaît aux femmes de nommer vertu, elle affichoit une si grande sévérité de principes, que chacun dans la maison, surtout mistress Wilkins, s’attendoit qu’elle alloit jeter les hauts cris, et demander que l’enfant fût expulsé à l’instant du château, comme une espèce d’animal venimeux. L’humanité parut, au contraire, agir sur son cœur ; elle manifesta un mouvement de compassion pour cette petite