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consacroit tous ses moments de loisir à la lecture. Le pédagogue, frappé de ses heureuses dispositions, et de sa passion de s’instruire, eut la bonté, ou si l’on veut la sottise, de lui donner de si bonnes leçons, qu’elle acquit une connoissance passable de la langue latine, et y devint peut-être aussi habile que la plupart des jeunes gens de qualité de nos jours. Cet avantage, comme presque tous ceux d’un genre singulier, ne fut pas pour elle sans quelques inconvénients. On conçoit qu’une fille si accomplie, devoit se sentir peu de goût pour la société de celles que la fortune avoit faites ses égales, et qui lui étoient si inférieures du côté de l’éducation. On comprend aussi que cette supériorité, et la conduite qui en étoit la conséquence presque inévitable, devoient exciter contre elle un peu de malveillance et de jalousie. Depuis sa sortie de chez le maître d’école, ces dispositions malignes croissoient en silence dans les cœurs. Elles ne s’étoient pas encore manifestées, lorsqu’à l’étonnement général, et au grand dépit de toutes les filles de la paroisse, Jenny parut un dimanche à l’église, avec une robe de soie neuve, un fichu de blonde et un bonnet garni de dentelles.

Le feu qui couvoit sous la cendre éclata en ce moment. La science de Jenny lui avoit inspiré un excès d’orgueil qu’aucune de ses com-