Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 1.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

adresse dans un bal à l’heureux objet de sa tendresse, et dont Vénus payeroit de son immortalité le charme inexprimable : non, c’étoit plutôt un sourire digne de Tysiphone, ou de sa sœur Alecton.

Miss Bridget accompagna ce sourire d’un son de voix aussi flatteur que le souffle de l’aquilon, dans une belle nuit d’hiver, et reprocha doucement à Déborah un excès de curiosité. Il paroît que la gouvernante y étoit assez sujette. Sa maîtresse s’exprima, sur ce chapitre, en termes pleins d’amertume, remerciant Dieu de ce que ses ennemis ne pouvoient mettre au nombre de ses défauts, celui de s’ingérer mal à propos dans les affaires d’autrui.

Elle loua ensuite le noble caractère qu’avoit montré Jenny : elle ne pouvoit s’empêcher, dit-elle, de trouver, comme son frère, qu’il y avoit quelque mérite dans la sincérité de ses aveux, et dans sa courageuse fidélité à l’égard de son amant ; elle avoit toujours estimé Jenny une excellente fille ; sans doute un misérable, beaucoup plus blâmable qu’elle, avoit triomphé de son innocence par des serments trompeurs, et par une promesse de mariage.

Ce langage surprit fort Déborah. Elle n’ouvroit guère la bouche devant son maître, ou sa maîtresse, qu’elle n’eût d’abord sondé leurs sen-