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TOM JONES.

embarrassée de ce que j’aurois à faire. À mon petit avis, l’écuyer Blifil est un jeune homme aimable, bien fait, charmant.

— Quels contes me faites-vous là ?

— Des contes, mademoiselle ! pourquoi donc ? mais, comme on dit, tout le monde n’a pas le même goût. Une nourriture saine pour les uns, est du poison pour les autres.

— Honora, plutôt que de consentir à devenir la femme de ce misérable, je me plongerois un poignard dans le cœur.

— Bonté divine ! Mademoiselle, vous me faites frémir. Repoussez de votre esprit, je vous en conjure, cette coupable pensée. Bonté divine ! j’en tremble de la tête aux pieds. Ma chère demoiselle, songez à ce que c’est que d’être privé de la sépulture chrétienne, et enterré sur le bord d’un grand chemin, un pieu passé au travers du corps, comme le fermier Halfpenny à Oxcross. Depuis ce temps, son esprit y revient toutes les nuits ; la chose est sûre, et beaucoup de gens l’ont vu. Il n’y a certainement que le diable qui puisse mettre en tête un pareil dessein : car j’ai ouï dire à plus d’un ministre, qu’on seroit moins coupable de nuire au monde entier, que de faire le plus petit mal à sa pauvre chère personne. Si pourtant mademoiselle a pour le jeune écuyer Blifil une telle aversion, qu’elle ne puisse pas sup-