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des preuves manifestes, et cela par la seule raison qu’on ne l’éprouve point soi-même ? L’homme exempt d’avarice et d’ambition, niera-t-il qu’il y ait des ambitieux et des avares ? Pourquoi ne pas juger du bien et du mal chez les autres, d’après la même règle ? Pourquoi, suivant l’expression de Shakespeare, vouloir resserrer l’univers dans les bornes étroites de son individu ?

Nous craignons qu’un excès de vanité ne soit la cause de ces folles erreurs. La plupart des hommes se considèrent avec une extrême complaisance. Il n’y en a peut-être pas un qui, malgré le mépris le plus prononcé de la flatterie, ne soit, pour lui-même, le plus aveugle des flatteurs.

Nous soumettons ces observations au jugement de ceux dont le cœur peut en attester la justesse. Sonde le tien, cher lecteur. Si tu y trouves un sentiment conforme au nôtre, continue de lire cette histoire. Dans le cas contraire, tu en as déjà lu plus que tu n’en as compris. Tu feras mieux de retourner à tes affaires, ou à tes plaisirs, quels qu’ils soient, que de perdre ton temps à une lecture que tu ne saurois goûter, ni comprendre. Il y auroit, de notre part, autant d’absurdité à t’entretenir des effets de l’amour, qu’à parler des couleurs à un aveugle de naissance. Tu pourrois t’en faire une idée aussi extravagante que celle d’un infortuné de cette espèce qui se figuroit, dit-on,