Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 4.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

un homme sur lui-même, et le met en état de rouler dans le monde comme une boule polie, sans être arrêté un seul instant par les malheurs d’autrui. Il ne pouvoit s’empêcher de plaindre l’infortunée Nancy. L’amour dont elle brûloit pour Nightingale étoit si visible, qu’il s’étonnoit que sa mère ne s’en fût pas aperçue. La veille encore, cette mère aveugle lui faisoit remarquer le changement survenu dans l’humeur de sa fille. « Il n’y avoit pas naguère, disoit-elle, de jeune personne plus vive et plus gaie ; et elle est tombée tout-à-coup dans une mélancolie profonde. »

Le sommeil finit cependant par triompher de toute résistance ; et comme s’il eût été, suivant l’opinion des anciens, un dieu véritable, et un dieu irrité, il parut se plaire à jouir d’une victoire qu’il avoit longtemps disputée. Parlons sans figure, notre héros dormit jusqu’à onze heures du matin, et peut-être auroit-il goûté plus longtemps les douceurs du repos, s’il n’avoit été réveillé par un violent tumulte. Il appela Partridge pour en savoir la cause. Le pédagogue lui dit qu’il se passoit en bas une scène terrible ; que miss Nancy avoit des convulsions ; que sa sœur et sa mère pleuroient et se lamentoient autour d’elle.

Partridge, s’apercevant de l’extrême chagrin que cette nouvelle causoit à Jones, se hâta d’ajouter d’un air fin : « Tranquillisez-vous, monsieur, la