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femme du peintre sont les deux dernières œuvres connues du grand artiste. Sur le cadre de la Madone d’Anvers on lit l’inscription suivante : « Als ikh kan. Jonhes de Eyck me fecit. Complevit anno 1439 ». L’œuvre est signalée dans l’inventaire de Marguerite d’Autriche en 1524 : « Ung petit tableaul de Nostre-Dame, tenant son enfant lequel tient ung petit paternostre de coral en sa main, fort antique, ayant une fontaine auprès d’elle, et deux anges tenans un drapt d’or figuré derrière elle. »[1] En 1830 le « petit tableaul » appartenait au curé de Dickelvenne dans la Flandre orientale ; il fut ensuite acquis par M. van Ertborn qui le légua au musée d’Anvers. De nombreux artistes flamands du XVe siècle s’en inspirèrent.[2] Mais ce ne serait pas assez dire de la Madone à la Fontaine qu’elle fut célèbre ; son caractère est exceptionnel dans l’art de Jean. La Vierge est debout près d’une fontaine de laiton où chantent quatre jets, clairs comme des rayons ; elle est vêtue d’un manteau bleu, plissé modérément sur le sol. Jésus d’une main se suspend au cou de sa mère, de l’autre écarte un grand chapelet. Nous ne sommes ni dans une église, ni dans un intérieur, mais en plein air. Deux anges soutiennent un drap de brocart derrière la Reine des Cieux et des deux côtés de la tenture des fleurs s’épanouissent en buissons épais. Nous connaissons la tête de la Vierge pour l’avoir vue à Dresde, à Francfort ; mais l’inclinaison affectueuse de cette tête, l’attitude de Jésus, ces fleurs soulignant la joie de Marie sont autant de nouveautés qui enrichissent l’art de Jean de délicates intentions morales. L’infini du bonheur est enclos en cette œuvre infiniment petite où tout parle d’amour. Une haleine de mysticisme juvénile ranime la noble maturité du maître. Le génie de Stephan Lochner ne fut point étranger, croit-on, à cette ascension suprême. Regardez en effet au musée diocésain de Cologne la Vierge en rose de celui qu’on appelle le Fra Angelico des bords du Rhin et qui fut un si grand interprète de la nature végétale ; elle est des environs de 1435 ; Jean Van Eyck semble avoir transposé la suave fluidité de son expression dans la Madone à la Fontaine tout en gardant à sa propre création les joues fermes et la structure robuste de ses autres Madones.

  1. De Laborde. Inventaire, etc. p. 26. Dans les Ducs de Bourgogne, t. 1er p. 4. De Laborde signale une copie de ce tableau trouvé aux environs de Nantes.
  2. Un miniaturiste flamand la reproduisit dans le Livre d’heures, jadis en possession de Sir Lawrence d’Abbey ; le Cabinet des Estampes de Berlin possède un ancien dessin à la plume d’après ce tableau ; le musée de Berlin en a une réplique assez fidèle avec un fond de végétation méridionale qui semble inspiré de certaines Vierges quattrocentistes ; enfin on voit au musée Métropolitain de New-York une Madone de même aspect mais posée dans une niche et peinte sèchement qui pourrait bien être de ce versatile et froid successeur de Jean Van Eyck : Petrus Christus.