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Tout en mettant la dernière main au tombeau de Philippe le Hardi, Claes Van de Werve dut songer à la sépulture de Jean sans Peur et de sa femme la duchesse Marguerite de Bavière. Il ne devait point achever cette œuvre nouvelle.

Le projet en était terminé en 1411 et déjà l’artiste avait commencé ses achats de marbre noir de Dinant. Mais le labeur de la colonie artistique de Dijon commençait à perdre son calme et sa fécondité. Les sanglantes querelles de Jean sans Peur et des Armagnacs furent sans doute la cause initiale de cette décadence ; et d’autre part lorsque Philippe le Bon devint duc à son tour, les villes flamandes possédaient des artistes de génie qui bientôt allaient faire oublier les « estrangiers » gardés à Dijon pour l’achèvement de la Chartreuse. On retint Claes Van de Werve en Bourgogne pour que s’achevât le tombeau de Jean sans Peur ; mais on l’encombrait de besognes insignifiantes et mal payées, et si l’on en croit son propre témoignage sa vie devint bientôt un tissu de tracas, d’ennuis, de misères. Il demande qu’on réduise sa taxe, se dit « injustement imposé selon sa povre faculté », assure qu’on ne lui tient pas parole : « Je me passe de réciter les lettres patentes que Monseigneur le duc m’a baillées, qu’il me veult préserver de tous aides et subvencions quelconques… je me plains à Dieu et à tout le monde de desraison que l’on me fait… »[1]

Il n’est pas seulement l’héritier artistique de Claes Sluter ; son oncle, semble-t-il, lui a laissé quelque chose de son humeur chagrine. Mais il est réellement malade et l’atavisme ne suffit point à expliquer ses doléances aigres. Sa tristesse est infiniment légitime. On contrariait l’achèvement de la seule œuvre qui désormais le passionnât. Sa foi artistique le soutint néanmoins jusqu’au bout et le tombeau de Jean sans Peur était fort avancé quand il mourut en octobre 1439. Il fut enterré dans l’église abbatiale de Saint-Etienne de Dijon où son épitaphe a été relevée au XVIIIe siècle :

Cy gist Claus de Werve, de Hatheim au comté de Hollande, [tailleur d’im] aiges et varlet de chambre de Monseigneur le duc de Bourgogne, qui trespassay le jendy VIIIe jour d’octobre M. CCCC. XXX [IX]. Dieu ait son âme. Amen.

Outre ses grands travaux funéraires Claes Van de Werve laissa un certain nombre de statues dans les églises de Dijon, Baume-les-Messieurs,

  1. Prost : Nouvelle source de documents sur les artistes dijonnais. Gazette des Beaux-Arts. 1890. p. 354.