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père et la mère. À notre avis on se trompe. C’est tout simplement une mode du temps qui détermine l’attitude de Jeanne Arnoulfini. La sainte Catherine, vierge et martyre, qui figure dans un volet du petit triptyque de Dresde a exactement la même pose. Jean Van Eyck ayant été père en 1434, l’année où il peignit ce tableau, on a supposé que le prétendu Hernoul le Fin n’était autre que le grand peintre lui-même qui se serait ici représenté avec sa femme un peu avant l’heureux événement.[1] Notre modeste remarque sur la traîne de Jeanne Arnoulfini écarte cette séduisante hypothèse.

À travers nos idées modernes ce couple célèbre nous paraît à première vue un peu comique. « Il a tout ce qu’il faut pour être grotesque, me disait un jour notre grand Constantin Meunier et pourtant il est sublime. » Et comme le décor le complète ! Le soleil entre par la fenêtre mi-close, fait briller une lampe de cuivre fraîchement frottée où flambent deux cierges symboliques. Le minuscule miroir circulaire qui reproduit tout le tableau, le rosaire pendu à la muraille, le lit de chêne sculpté, le banc de repos, les soques de bois négligemment jetées sur le parquet, le petit barbet du premier plan, — symbole de la Fidélité que signale Van Mander ? — tout nous convie à goûter le charme de cet intérieur inégalable. Le peintre l’a traduit avec un amour fraternel. Une inscription dit d’ailleurs : Johannes de Eyck fuit hic. Jean Van Eyck fut ici ; il était l’ami et le familier de la maison.

Quoi de surprenant si les textes contemporains de ce tableau nous montrent le maître au comble de la faveur.

Le 13 mars 1434, Philippe avait écrit de Dijon à ses receveurs de Flandre pour les réprimander d’avoir retenu la pension de Jean et leur enjoindre de payer l’artiste sans retard. Dans cette lettre, si savoureuse de style et qui fait mesurer l’estime du prince pour l’artiste, Philippe parle de « son bien amé varlet de chambre et paintre Jehan Van Eyck », exprime la crainte que son peintre, par suite de la négligence des receveurs ne quitte son service, de quoi il aurait « grant desplaisir » car il compte demander de grands ouvrages au maître et ne trouverait plus de peintre pareil « ni si excellent en son art et science. » Donc il enjoint à ses receveurs « incontinent cestes veues » de payer la pension, et les avertit de ne plus

  1. Crowe et Cavalcaselle ont les premiers émis cette hypothèse (Cf. Les Anciens peintres flamands, op. cit. T. 1, p. 85) reprise récemment par M. Bouchot. (Cf. les Primitifs français p. 240). On ne manque pas de tirer argument de l’inscription qui dit : Johannès de Eyck fuit hic. Mais comment accorder cette opinion avec celle de M. Durand-Gréville qui reconnaît Jean Van Eyck dans l’Homme au Turban ? À des suppositions contradictoires nous avons préféré les opinions traditionnelles.