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rouge de la Vierge étalé sur un tapis oriental, le dais de damas vert où s’assied Marie. Sur les volets, à droite un donateur coiffé à la bourguignonne, vêtu d’une robe olivâtre, est agenouillé devant un saint Michel cuirassé, ailé, au visage divinement pur et juvénil ; à gauche sainte Catherine couronnée et vêtue, comme il convient, en princesse, — robe d’azur bordée d’hermine — porte le glaive en sa dextre, et tout en tenant son bréviaire de la main gauche relève la traîne de sa jupe d’apparat exactement comme la femme d’Arnoulfini dans le tableau de Londres. Debout au seuil d’une chapelle, la fiancée du Christ dans le petit autel des Giustiniani est l’une des plus fines créations de Jean Van Eyck ; on ne peut la comparer qu’aux Saintes Femmes de l’Adoration de /’Agneau.

La petite Madone de Francfort, (Inst. Staedel) dite aussi la Madone de Lucques — elle fit partie de la collection du duc Charles-Louis de Lucques — est tout à fait dans le goût raffiné de la petite Madone de Dresde. Les deux petites vierges se ressemblent : même visage rond et ingénu, même manteau étalé en cassures nombreuses sur un somptueux tapis d’Orient. Elle sont les petites sœurs de la Madone Rolin. Avec cette Madonna di Lucca nous quittons l’église pour pénétrer dans la maison. Seuls le trône, où brillent des dinanderies, et le baldaquin de brocart disent la royauté de la de la Mère de Dieu. Le reste du décor exprime une fois de plus la tendresse de Jean pour l’intimité et pour l’âme des choses. Des pommes sont oubliées sur la fenêtre, comme si nous étions dans l’intérieur d’Arnoulfini. Infiniment étroite est la chambre ; elle n’est que mieux emplie du bonheur de la Vierge — bonheur tout terrestre au premier regard, bonheur de jeune femme qui porte au doigt la bague des épousailles, bonheur de jeune mère pressant humainement son fils sur son sein, mais bonheur divin par sa simplicité et son humanité même, et que traduit en symbole discret le cercle de perles couronnant le front de Marie.

C’est vraisemblablement à l’époque où il concevait les petites madones de Dresde et de Francfort que Jean Van Eyck créa un type de Vierge dans l’Eglise qui ne nous est connu que par des copies témoignant de sa grande vogue. La plus remarquable de ces répliques est au musée de Berlin. La Vierge est debout dans une architecture gothique. Fidèle à une convention que nous avons déjà notée, le peintre ne se soucie nullement de proportionner la figure à l’échelle de l’édifice ; la tête de la madone atteint la hauteur du triforium. Le décor d’une extrême justesse est tout à fait digne du grand architecturiste qu’était Jean et le type de Marie se rapproche de celui des petites madones de Dresde et de Francfort ; mais le vêtement de