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…dans quelle dignité chevauchent
Les rois, les princes, les comtes, suivis de leurs seigneurs.
À bon droit parmi eux, l’on voit aller le peintre,
Le cadet, et pourtant le meilleur, qui termina toute l’œuvre ;
Un chapelet rouge orne son habit noir.
Hubert prend le pas, comme par droit d’aînesse.

Suivant Van Mander, Philippe-le-Bon se tient entre les deux peintres et l’on ne sait s’il désigne le personnage au merveilleux profil méridional ou celui qui porte le large col d’hermine. Il y a longtemps d’ailleurs que l’on a reconnu l’erreur de Van Mander en ce qui concerne la présence du duc. Si nous nous souvenons de la distance énorme qui séparait à cette époque les artistes des nobles, il semble bien improbable que les auteurs du polyptyque aient osé se représenter dans un cortège où figurent des seigneurs portant le manteau des électeurs du Saint Empire. Pourtant cette tradition qui, depuis Lucas de Heere, désigne Hubert et Jean parmi les Juges, retrouve des adhérents[1]. Hubert monte un destrier blanc, sur le devant du panneau ; son bonnet de zibeline, sa robe de samit rouge fourrée de petit-gris, ses yeux plissés, son sourire « éginétique », le font très différent de son frère que l’on voit de face au quatrième rang : type très fin, yeux bleus énergiques, menton rond, visage glabre que surmonte un chaperon artistement noué, robe noire que rougit un chapelet de corail.

Chevaliers et Juges s’avancent dans le soleil qui allume la soie des bannières, incendie les armures et les targes, tire du feu des joyaux. Les chevaux sont de choix, différents d’attitudes, de robes, très individualisés, — chevaux de tournois et de joutes débarrassés de leurs armures, transformés en palefrois, houssés d’orfèvreries et de passementeries, les uns très fiers de leur parure solennelle, les autres hennissant d’impatience. Et Van Mander avait raison de s’émerveiller avec tous les peintres, de la transparence de leurs crinières et de leurs queues ondulantes. Les chevaux des Heures de Turin n’en sauraient décidément être que des répliques.

Ces panneaux des Chevaliers et des Juges racontent fidèlement le luxe et les aspirations de la noblesse contemporaine. Gentils coureurs de lances, hérauts et roys d’armes, souverains et princes, seigneurs et écuyers, nobles héros parvenus à la vertu « de prouesse et de bonne renommée », toute la figuration qui parade dans les chroniques d’Olivier de la Marche et de Georges du Chastellain est devant nous. Et non seulement les splendeurs

  1. M. Durand-Gréville, notamment.