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Le paysage a de quoi réjouir les âmes. Le bocage sacré de la partie centrale se prolonge ; un magnifique monde végétal nous mène dans les climats méridionaux ; un pin parasol, des cyprès élancés, des orangers aux fruits d’or garnissent la colline rocheuse ; puis derrière les pèlerins une vallée fraîche où, dans un fond de clarté matinale, tout au loin, fleurit le sourire d’un site flamand : une ville, des saules, une rivière. Un cyprès et un palmier gardent la vallée heureuse et nous devons relever ici une petite erreur à la charge de l’infaillible peintre : ses régimes de dattes, au lieu d’être en grappes comme il faudrait, pendent en chapelet. — Il suffirait néanmoins à un artiste moderne de peindre la colline qui s’élève au pied du palmier pour être le plus grand de nos paysagistes. Des nuages légers, merveilleusement floconneux, s’arrondissent dans le ciel ; des oiseaux filent dans l’air bleu, non pas des accents circonflexes renversés comme feraient nos peintres, mais de vrais oiseaux ; on les reconnaît ; voici des hirondelles, des martinets, un vol de grues fendant le ciel en angle aigu. Et non seulement ce sont de véritables portraits, mais les différents instants du vol sont surpris : vol latéral, vol de face, vol circulaire, oiseau planant, oiseau qui se pose. Partout et toujours la même puissance, la même conscience, la même intuition des êtres et des choses. Grandeur et perfection du détail s’unissent en une harmonie qui nous confond. Nous prolongerions en vain notre description. Ce que Fromentin dit de la partie centrale, doit s’appliquer au Retable tout entier : « L’esprit peut s’y arrêter à l’infini, y rêver à l’infini, sans trouver le fond de ce qu’il exprime ou de ce qu’il évoque. L’œil de même peut s’y complaire sans épuiser l’extraordinaire richesse des jouissances qu’il cause ou des enseignements qu’il nous donne[1]. »

On commande le Retable à Hubert vers 1420. Il commence par la partie centrale : l’Agneau mystique et presque en même temps aborde les panneaux des Chevaliers, des Juges, des Ermites, des Pèlerins ; c’est lui sans doute aussi qui peint la prédelle perdue, où la scène du Jugement dernier montrait, dit Van Mander, des damnés s’agenouillant devant l’Agneau. On peut se demander d’ailleurs si cette prédelle était bien une peinture ; Van Vaernewyck en effet parle tout simplement d’un piédestal (voet).

Jean entre de bonne heure en scène. Il revient de la Haye à la fin de

  1. Les Maîtres d’autrefois p. 427.