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Page:Fierens-Gevaert - La Peinture en Belgique, volume 1.djvu/107

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nique d’un immense fond d’argent. Burger considérait les Sept Sacrements comme le chef-d’œuvre de van der Weyden ; il exagérait ; mais comme on s’explique son enthousiasme et comme on serait tenté de s’y abandonner pleinement… Dans le panneau de gauche on remarque une femme lisant qui rappelle une figure de l’école de Roger van der Weyden, la Magdalen reading abîmée dans la lecture de son bréviaire que conserve la National Gallery[1]. Cette Madeleine n’est qu’un fragment d’une œuvre perdue ; mais ce fragment est un tout et cette figure détachée incarne avec la plus persuasive éloquence l’idéal religieux et la poésie humaine que le grand peintre de Bruxelles conciliait en son âme. Dans une des tapisseries de Berne est une figure semblable à cette Madeleine et dès lors s’expliquent les distractions du docte Lampsonius contemplant ces peintures de l’hôtel de ville et son cri : « Ô Roger, quel maître tu étais ! »

La petite Pietà si dramatique et si précieuse du Musée de Bruxelles (Fig. XXXI) pourrait bien avoir été exécutée à l’époque où le « jone Hayne » travaillait dans l’atelier de Roger. Une mention de l’inventaire des meubles et objets d’art de Marguerite d’Autriche semble en témoigner, si tant est qu’elle se rapporte à la Pietà de Bruxelles : « Ung petit tableaul d’un Dieu de pityé estant es bras de Nostre-Hame, ayant deux feulletz, dans chascun desquelz il y a ung ange, et dessus lesdits feulletz il y a une Annunciade de blanc et noir. Fait, le tableaul de la main de Rogier et les dits feulletz de celle de Maistre Hans[2] ». Les « feulletz » du triptyque seraient donc perdus ; seul resterait le petit tableau central de la main de Rogier. Est-ce notre Pietà ? Quatre personnages sont groupés au pied de la croix sur un ciel enflammé de soleil déclinant ; leurs gestes sont un peu anguleux, mais rien de plus dramatique que l’attitude de saint Jean soutenant Jésus d’une main et écartant la Vierge de l’autre pour l’empêcher de baiser encore le visage de son fils et de trouver ainsi un nouvel aliment à sa douleur… Il faut bien avouer que la technique de cette œuvre diffère de la manière toujours un peu sculpturale de Roger van der Weyden ; les contours sont plus doux, plus baignés d’atmosphère ; l’attribution à Roger et l’identification du tableau avec la partie centrale du triptyque de Marguerite d’Autriche ne vont point sans réserves. Ce qui est certain, c’est que Roger a peint à un moment donné de sa carrière un tableaul d’un Dieu de pityé qui sera devenu un thème populaire pour les maîtres du XVe siècle, comme le fut également le thème de sa Descente de croix, comme devait l’être celui de sa Crucifixion, de son Saint Luc peignant la Vierge, de ses Madones, etc. Le trip-

  1. Du Maître de Flémalle pour d’autres.
  2. Cf. A.-J. Wauters, Catalogue historique et descriptif du Musée de Bruxelles, 2e édition, 1906. Le tableau a été acheté par M. A.-J. Wauters à la vente Pallavicini-Grimaldi, Gênes, 1899, pour le compte du Musée de Bruxelles.