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sur des panneaux portant les blasons d’une famille tournaisienne et datés de 1425. Barthélémy Alatruye et sa femme ne produisent point très bonne impression à première vue ; mais ils ont fort souffert du temps et des retoucheurs. Dans le portrait du conseiller on a repeint le chaperon, la pelisse, le fond d’or, la bordure avec la devise et le cadre ; et les repeints sont fort grossiers, de même ceux du portrait de Marie Pacy. Mais les parties originales subsistantes, — et fort heureusement ce sont en grande partie les visages mêmes, — ont dans la technique un caractère de fermeté, et dans l’expression un air de vie et de réalité qui rendent vraisemblable l’attribution à un grand maître[1].

Par notre essai de classification, où nous avons cherché à grouper, suivant la nature des sujets, les œuvres du maître avec celles qui les reproduisent ou s’en inspirent, et à rassembler les copies ou variantes de prototypes perdus, on a vu que le catalogue des créations du Maître de Flémalle n’est pas encore établi avec une très grande rigueur. Une révision sévère devra séparer les peintures ayant un caractère vraiment magistral de celles qui sont plutôt des œuvres d’élèves ou de contemporains. Puis, entre les œuvres de premier ordre une autre distinction s’imposera au point de vue de l’expression, et même de la technique. D’une part nous grouperions la Vierge de Somzée, l’Annonciation de Merode, la Sainte Barbe et l’Henrich von Werl du Prado, d’une facture puissamment plastique, mais d’un modelé par trop sculptural et d’un coloris parfois âpre ; d’autre part nous rapprocherions l’Adoration des Bergers de Dijon, de la Vierge glorieuse d’Aix-en-Provence et de quelques Madones, d’une technique plus souple, plus moelleuse, d’un art moins intransigeant. Dominant les deux groupes, resteraient les peintures de l’Institut Staedel avec l’énigme de leur majesté mystique, et de leur surhumaine grandeur, — car nous avons bien pu tenter une esquisse physionomique du grand maître anonyme, nous avons pu essayer de dire combien fut grand le charme de ses récits malgré les fréquentes duretés de sa technique, et combien ses compositions, ses types, sa manière impressionnèrent le XVe siècle, mais il nous faut bien avouer que sa personnalité, sa vie, sa carrière, l’ordre de sa production, l’évolution de son génie sont encore aujourd’hui d’impénétrables mystères. Heureux le critique qui sera l’Œdipe de ce Sphynx.

  1. Dans son catalogue de 1906, M. A.-J. Wauters attribue ces portraits à Robert Campin. Le savant critique abandonne cette opinion dans son étude sur la Peinture dans les Pays-Bas. Revue de Belgique, novembre 1907.