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LES PRIMITIFS FLAMANDS lo3

" J'ai eu soin de donner Ions ces détails, Dieu ayant permis ce qui précède, comme je le pense, non seulement pour la punition du péché, ou la correction et l'amendement du pécheur, mais aussi pour notre édification. Cette infirmité survint à la suite d'un accident naturel. Apprenons par là à refréner nos passions, à ne plue leur permettre de nous dominer; sinon nous pouvons être frappés d'une manière irré- médiable. Ce frère, en qualité d'excellent peintre, comme on le qualifiait alors, éUil livré, par un excès d'imagination, aux rêveries et aux préoccupations; il a été par là atteint dans une veine près du cerveau. Il y a, en effet, à ce que l'on dit, dans le voisinage de ce dernier, une veine petite et délicate dominée par la puissance créa- trice et de rêverie. Quand, chez nous, l'imagination est trop active, que les rêves sont fréquents, cette veine est tourmentée, et si elle est tellement troublée et blessée qu'elle vient à se rompre, la frénésie et la démence se produisent. Afin de ne pas tomber dans un danger aussi fatal et sans remède, nous devons donc arrêter nos rêves, nos imaginations, nos soupçons et les autres pensées vaines et inutiles, qui peuvent troubler notre cerveau. Nous sommes des hommes, et ce qui est arrivé à ce con- vers par suite de ses rêveries et de ses hallucinations ne peut-il pas non plus nous survenir? « — Et le narrateur, après une longue digression théologique, ajoute : « Il fut enterré dans notre cimetière, en plein air. »

Honnête Ofhuys ! Vous aviez raison de redouter pour le commun des convers les imaginations et les rêveries, mais vous ne vous doutiez point que les souffrances de van der Goes, sa crainte de ne pouvoir achever ses œuvres, son exaltation orgueilleuse et ses accès d'humilité, tout cela était le propre d'un être d'élection, d'une nature géniale luttant contre quelque mal secret et contre l'impossibilité cruelle d'égaler toujours et sans faiblir les plus grands d'entre les peintres des Flandres. Quelle aven- ture étrangement moderne que celle de van der Goes et comme il y apparaît claire- ment que désormais la première période de notre peinture primitive est close : celle de la sérénité classique.

L'Originale cenobii 'Rubeevallis in Zonia nous apprend que l'activité artistique du maître ne fut point arrêtée par son entrée au couvent. En effet la ville de Louvain fit appel à la science de van der Goes ainsi que nous l'avons vu dans notre biogra- phie de Thierry Bouts (i), pour estimer la valeur des deux panneaux de la Justice d'Oihon et du Jugement dernier, les dernières œuvres du portraiteur de la cité. El nous avons dit que les comptes de la ville qualifient van der Goes de « l'un des peintres les plus notables que l'on pîit trouver », et que les magistrats honorèrent

(i) Voir Chapilr. IX. p. «3.