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Page:Fierens-Gevaert - La Peinture en Belgique, volume 1.djvu/313

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LES PRIMITIFS FLAMANDS 149

constater que tout en apportant à l'art du Nord des éléments rénovateurs dans un sens à la fois plus largement décoratif et plus nettement psychologique, (serai-je le premier, devant ces peintures brunes, à songer à Léonard de Vinci?) Gérard David a prouvé de la plus spirituelle manière qu'aucune prouesse technique ne lui était inter- dite. A droite du roi Cambyse, dans le tableau du Jugement, est un soldat dont le casque miroitant reflète une image très minutieuse de l'église Saint-Jean à Bruges. Jean van Eyck eût applaudi à ce trait par lequel, en passant, Gérard David nous fournil l'attestation de ses mérites de miniaturiste.

En 1498 le maître termina pour l'Hôtel de ville de Bruges un Jugement der- nier qui est perdu, puis il faut attendre jusqu'à l'année 1507 pour rencontrer une œuvre datée : le retable de Jean des Trompes conservé au Musée communal de Bruges. Mais on peut considérer comme appartenant à cette époque de parfaite maturité quelques-unes des plus belles œuvres de l'artiste : les J^oces de Cana du Louvre, VEvêque avec trois saints et le retable de Sainte Catherine de la National Gallery, le Saint Jérôme de l'Institut Staedel, le Dieu le Père avec deux anges de la collection Schickler à Paris, de forme cintrée, qui pourrait bien être la partie supérieure d'un polyptyque et dont les anges n'ont leurs pareils que dans les minia- tures flamandes du temps, — Gérard David peintre ayant trouvé bon une fois de plus de recourir à la collaboration de David enlumineur.

La précieuse et très somptueuse adoration des Mages du Musée de Bruxelles (Fig. CXIV) doit avoir été peinte peu de temps après la Légende de Sisamnès. C'est un joyau des plus caractéristiques et le seul fait qu'on l'ait tenu longtemps pour un Jean van Eyck atteste la beauté technique de l'œuvre. Quelques types sont empruntés à Memlinc et même à van der Goes ; mais l'œuvre est personnelle par la force du modelé, la manière un peu rougeâtre de traiter les visages masculins, la douceur toute spéciale de la Vierge, enfin par la composition qui est tout à fait propre à Gérard David. Cette Adoration des Mages, par l'ordonnance générale, marque l'aboutissement des diverses J^ativités peintes par le maître. C'est une œuvre définitive, sans être l'œuvre définitive. Les personnages sont encore très rapprochés les uns des autres. Mais quelle liberté dans leur disposition scénique et dans leurs attitudes si on les compare aux figures des !Nativités de Roger van der Weyden et de Memlinc ! Et encore une fois, même devant cette œuvre où l'âme traditionnelle parle sur tous les visages, je ne puis m'empêcher de croire à l'action émancipatrice d'un idéal lointain encore, mais de moins en moins ignoré.