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Page:Fierens-Gevaert - La Peinture en Belgique, volume 1.djvu/36

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sous une forme exceptionnellement flatteuse pour l’artiste. Philippe le Bon fait noter que depuis longtemps il connaissait mieux que de réputation « l’abilité » et la « souffisance » du peintre. Tout de suite Jean est chargé du premier de ces pèlerinages et loingtains voyaiges, missions diplomatiques ou autres, que le duc confiait à son peintre et dont l’objet est resté inconnu. L’artiste accomplit deux de ces voyages en 1426. On a supposé qu’il se rendit à ce moment en Bourgogne et qu’il y exécuta notamment la Vierge du chancelier Rolin (Musée du Louvre), ce puissant chef-d’œuvre où tout est clarté, — bien que le panneau ait été recouvert de nos jours d’un désagréable vernis jaunâtre, — où l’on peut remarquer quelque raideur dans la pose des personnages et un certain manque d’individualité dans la tête du donateur, mais qui est déjà incomparable par la splendeur du décor, des accessoires et la précision de la perspective aérienne. C’est immédiatement à côté de cette œuvre qu’il faut placer la Madone au Chartreux (collection G. de Rothschild), étonnante surtout par son paysage vivant et minutieux de ville fluviale aperçue à travers la large baie d’un cloître roman.

De la Saint-Jean 1426 à la Saint-Jean 1428, Jean van Eyck habite Lille aux frais du duc de Bourgogne. Le 19 octobre 1428, il s’embarque pour le Portugal avec l’ambassade qui, sous la conduite de Jean de Roubaix, est chargée de demander la main de l’Infante Isabelle de Portugal pour Philippe le Bon. Jean van Eyck a mission de « paindre bien au vif la figure de madite dame l’Infante ». Au retour de ce voyage, l’artiste acheta à Bruges une maison qu’il habita jusqu’à sa mort. À peine installé, il se rendit à Hesdin pour « aucune besogne », puis, aidé de ses « ouvriers », il revint achever l’Adoration de l’Agneau (1432). Il peignit alors une série de portraits inoubliables qui mériteraient chacun une longue description : Nicolas Albergati, cardinal de la Sainte-Croix (1432, Musée de Vienne), où le maître traite la figure comme le paysage avec une entente scientifique de la perspective (esquisse à la pointe d’argent à Dresde) ; Timothée ( ?) de la même année (National Gallery) si expressif et si simple ; l’Homme au turban (Id., 1433), bourgeois élégant en qui on a voulu reconnaître Jean van Eyck lui-même à cause du chaperon artistement noué qui coiffe le personnage ; Arnolfini et sa femme (Id., 1434), l’une des plus hautes créations du maître, peinture de genre et tableau de mœurs, magistrale étude physionomique, incomparable poème d’intimité candide et somptueuse ; l’orfèvre brugeois Jean de Leeuw (1436, Musée de Vienne), et quelques portraits non datés qui, vraisemblablement, sont de cette période : le pittoresque Baudouin de Lannoy (Musée de Berlin), le Jeune Homme du Gymnase d’Hermanstadt et un autre portrait d’Arnolfini seul et en buste (Musée de Berlin.)

Jean van Eyck est alors au comble de la faveur. Le 13 mars 1434, Philippe