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282 LES PRIMITIFS FLAMANDS

« ruine formidable où le peintre semble avoir entassé plusieurs cotisées les uns sur les autres, » et qui se dresse « sur une plaine panoramique où moutonnent les toits serrés d'une ville, coupée à l'horizon de fleuves et de forêts » (Ch. Bernard) et le Portement de Croix dispersant d'innombrables personnages devant un horizon illimité que déchire une énorme aiguille rocheuse. Dans ces paysages moitié réels, moitié imaginés, Bruegel résume le romantisme des Bosch, Blés, Blondeel, Scorecl, etc., tous amoureux, comme nous l'avons dit, de ruines, de roches déchiquetées, d'incendies, et il anime ces visions de sa puissante observation personnelle. Le même musée de Vienne possède d'ailleurs quatre scènes de la plus extraordinaire vérité, (non datées,) la Journée sombre (janvier?) les Chasseurs dans la J^eige (février?), la "Rentrée des TroU" peaux (novembre) et le Dénicheur où l'artiste ne cherche plus à décrire de vastes panoramas, mais se limite à des paysages embrassés d'un coup d'œil. On dirait qu'il cherche à rapprocher la nature de son âme (i).

Si original que fût le génie de Bruegel, il ne laisse point d'être touché par certaines conventions à la mode et d'en sauver quelques-unes du passé. En 1664, le maître peint une seconde Adoration des Mages (collection Roth, à Vienne) où l'on sent toujours l'influence boschienne, notamment dans un vieux mage adorant l'Enfant. Dans ce même tableau l'allongement de certaines figures, convention chère à Frans Floris, atteste que le « Drôle » n'est pas indifférent à l'art des romanistes contemporains. Mais les truands barbus et glabres du fond avec leurs yeux écarquillés, échappés des repues de François Villon, sont du Bruegel le plus authentique. Et celui-ci se retrouve tout entier dans le Massacre des Innocents (musée de Vienne) qui doit dater de la même époque (i565) et dont nous avons à Bruxelles une réplique de Breughel fils, dit d'Enfer (fig. CCIX). Comme le remarque van Mander, le maître y utilise les exploits des reîtres et des soldats espagnols. Il trouve un sujet admirablement approprié à son génie « en cherchant à rendre la souffrance des pauvres diables victimes de la soldatesque ». Deux ans plus tard, il exécute le merveilleux Dénombrement de Bethléem du Musée de Bruxelles (Fig. CCVIII), évoqué dans un paysage impressionniste, avec un étang gelé couvert de glace verte, avec une petite église rose et un soleil rouge qui descend dans un ciel pâle derrière les entrelacs d'une ramure dépouillée, — le tout peint par taches chromatiques, comme un tableau de la fin du XIX' siècle.

Il arrive enfin, comme nous le disions, que Bruegel abandonne les sujets

(1) M* Gluck pense que Bruegel, dans sa jeunesse, peignit des toiles décoratives (ses peintures à la lempera permettent cette hypothèse) et qu'il faut chercher de ce côté les origines de son génie de paysagiste et de peintre de genre, — paysage et genre étant fort en honneur chez les décorateurs. D'autre part le genre et les diableries étaient très prisés par tes princes, ce qui permet k M. Glîjck de tenir d'une certaine manière Bruegel pour un peintre de cour* Le sujet des Saisons traité par le maître est également un sujet de cour dont un des plus anciens exemples est fourni par le calendrier des Heures de Chantil[y>