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La Crise marseillaise

La lettre de M. Trouillot

Nous avons dit hier que M. Trouillot, ministre du commerce, avait adressé aux compagnies de navigation une lettre relative au service postal. En voici le texte :

Paris, 28 août. 
Monsieur,

À la suite de difficultés survenues entre la Compagnie générale transatlantique et les équipages de cette entreprise, la grève générale des inscrits maritimes et des états-majors vient, d’éclater à Marseille.

Ainsi que je l’ai déjà fait dans des circonstances analogues, je crois devoir vous rappeler, à cette occasion, qu’aux termes de l’article 100 du cahier des charges réglant l’exécution des services maritimes postaux entre la France, l’Algérie, la Tunisie, la Tripolitaine et le Maroc, l’inexécution totale ou partielle d’un voyage, quelle qu’en soit la cause, entraîne, sur la subvention, une retenue correspondant aux parcours non effectués.

D’autre part, l’article 24 prévoit une amende de 50 francs par heure de retard au départ ou à l’arrivée, et de 100 francs au delà de six heures lorsque le retard dépasse vingt-quatre heures, le même article autorise les commissaires du gouvernement à prendre, les concessionnaires entendus, les mesures nécessaires pour assurer le service, les frais restant à la charge des concessionnaires.

En conformité de ces dispositions, l’administration des postes et télégraphes va prendre toutes les mesures utiles à cet effet.

Vous voudrez bien ne pas perdre de vue que votre Compagnie sera responsable, dans tous les cas, de l’intégralité des dépenses que le gouvernement aura faites pour assurer l’exécution du service. Dans le cas où la retenue de subvention ne suffirait pas pour couvrir les frais nécessités à l’État pour les transports qu’elle devrait effectuer, la différence entre cette retenue et ce prix resterait à sa charge.

Recevez, etc.

Le ministre du commerce,  
Trouillot.  

Nous nous sommes rendu au siège de la Compagnie générale transatlantique, rue Auber, où nous avons été reçu par le secrétaire général, et nous lui avons demandé de nous communiquer le texte de la réponse de la Compagnie à la lettre du ministre du commerce.

— Cette réponse, a-t-il dit, n’est point envoyée et ne le sera que demain. D’ailleurs, ce texte n’est même pas définitivement arrêté. Nous attendrons pour communiquer notre réponse aux journaux qu’elle ait été reçue et examinée par M. Trouillot.

— Pourriez-vous au moins m’en faire connaître tes grandes lignes ?

— Nous admettons la retenue ou plutôt la suspension de la subvention qui nous est accordée, puisque le service postal dont nous sommes chargés n’est pas effectué par nous. Mais nous protestons contre l’amende, attendu qu’il y a. cas de force majeure.

» Je sais bien qu’on nous objecte que cette force majeure est de notre fait parce que, dit-on, si nous cédions aux conditions que nous posent les inscrits, la grève cesserait immédiatement. Mais cette objection n’est pas sérieuse. On ne peut nous reprocher de ne pas obéir aveuglément au Syndicat des inscrits, accepter sans discussion toutes leurs exigences. Dans huit jours, sachant que nous sommes forcés, sous peine d’amende, de transiger avec eux, ils demanderaient autre chose et, si nous refusions, on nous accuserait encore d’être la cause de la grève par notre mauvaise volonté,

» Du reste, il n’y a pas comme force majeure seulement-la grève des matelots, il y a aussi celle des officiers. Et ceux-là ne demandent rien, absolument rien que l’observation des règlements en vigueur. Or, comme cette observation ne dépend pas de nous, mais du gouvernement, il y a donc, dans cette abstention des états-majors, une « force majeure » indiscutable.

» Qu’on applique la loi sur les inscrits. C’est le seul moyen de terminer le conflit. C’eût été aussi celui d’éviter cette grève dont tout le monde souffre.

— Dans une interview, M. le ministre de la marine déclare que la loi surannée du 3 brumaire an IV, remise en vigueur par le décret de 1852, ne peut plus être appliquée, car les marins sont avant tout des travailleurs et la loi de 1884 sur les associations détruit les conditions d’exception auxquelles les soumettait l’inscription maritime.

– M. le ministre de la marine commet une erreur ou plutôt oublie que le décret de 1852 a été confirmé par la loi de 1898, postérieure à la loi sur les associations et qui, par conséquent, ne peut être annulée cette dernière. Il y a une chose certaine, c’est qu’un marin, inscrit maritime, qui ne veut pas s’embarquer, est parfaitement libre de rester indéfiniment à terre. Il ne se doit qu’à l’État, quand l’État a besoin de ses services. Mais quand il s’engage sur un navire, quand il est inscrit sur le rôle d’équipage, il ne s’appartient plus et, s’il ne se rend pas à bord, et à plus forte raison, s’il quitte le bord, comme cela est arrivé, au moment où le navire va lever l’ancré, il est bel et bien déserteur et doit être traité comme tel.

» Nous sommes donc dans le vrai en prétendant que si, dès le début, la loi avait été appliquée, l’indiscipline n’aurait pas fait tache d’huile et la grève aurait été évitée.

» Dans le cas présent, nous attendons, disposés à toutes les concessions compatibles avec nos intérêts et notre dignité, mais forts de notre bon droit, décidés à ne pas nous laisser mener aveuglément par lés gens que nous employons. »

De cette conversation on peut déduire à peu près ce que sera la réponse des compagnies à la lettre comminatoire du ministre.

Nous recevons, à propos de cette même lettre, la dépêche suivante de notre correspondant de Marseille.

Marseille, 30 août. 

Je viens de voir M. Albert Fraissinet, directeur de la Compagnie marseillaise de navigation, qui m’a dit :

— C’est admirable. Nos équipages nous abandonnent en cours de route avec l’autorisation illégale des commissaires de la marine, et M. Trouillot nous rappelle, à ce moment précis, à nos engagements postaux envers l’État, alors que ces engagements nous ne pouvons précisément pas les tenir si nos marins violent le contrat. Cela est inconcevable. Non, nous ne pouvons plus rester dans cette situation et je comprends, j’approuve, je suivrai peut-être ceux de mes collègues qui quitteront Marseille et se mettront sous, pavillon étranger. J’ai, moi aussi, reçu la lettre de M. Trouillot mais le gouvernement se donne un démenti à lui-même. Comment prétend-il sévir contre les compagnies qui n’exécutent pas leurs engagements, puisque lui-même capitule devant les inscrits maritimes ? Il n’y a plus de lois, de règlements, de contrats, ni d’engagements. Il n’y a plus que de l’anarchie et il faut qu’elle cesse ou bien nous n’armerons pas.


À Marseille

Marseille, 30 août. 

En conséquence de l’ordre du jour que je vous ai télégraphié hier, et qui a été voté par les consignataires de navires étrangers, ceux-ci ont nommé, parmi eux et les courtiers maritimes une commission dont le rôle est d’examiner le cas de chaque navire étranger entrant dans le port de Marseille.

Ils décideront si des raisons majeures doivent nécessiter le chargement ou le déchargement de tel navire et, en l’absence de ces raisons majeures, ils engageront le capitaine ou le consignataire à ne pas embarquer ou débarquer pour faire acte de solidarité avec les compagnies françaises. Cette.Commission a fonctionné déjà aujourd’hui pour empêcher le débarquement de deux navires anglais, le Don of Airlic et le Clan Matheson. Cette décision est grave ; elle est une excellente marque de solidarité donnée aux Compagnies de navigation marseillaises par les représentants des compagnies étrangères, mais elle est le dernier coup à notre port, et nul ne peut prévoir ce qui en adviendra, même quand la grève sera terminée.

À la Compagnie Transatlantique, plus de 6, 000 colis sont en souffrance. Cet après-midi, les présidents des syndicats patronaux se sont réunis à la Défense du commerce à l’effet d’examiner les mesures à prendre pour mettre fin à la situation précaire du commerce et de l’industrie marseillais.

Voici, in extenso, la délibération prise :

La Société pour la défense du commerce, en présence de la crise aiguë que traversent le port et les industries de Marseille, a le devoir strict d’émettre son opinion sur les causes de cette désolante situation. Également soucieuse des intérêts du capital et de ceux du travail, puisqu’ils sont les deux éléments indispensables de toute activité féconde, c’est en toute impartialité, c’est en se plaçant au point de vue le plus élevé qu’après avoir suivi les faits, elle en dégagera l’esprit et la signification.

Elle ne s’arrêtera pas outre mesure aux causes immédiates du conflit actuel, car c’est aux racines du mal qu’il faut remonter pour le mettre en lumière et pour trouver le remède. Cependant, elle proteste au nom du commerce contre l’inapplication des lois relatives à la désertion des inscrits maritimes. Elle estime qu’il n’est pas admissible que les obligations réciproques de l’armateur et du marin ne soient pas exécutées que si l’armateur ne peut débarquer le marin sans un premier avis déterminé, le marin ne peut pas davantage quitter le navire en dehors des délais stipulés.

Elle estime que l’exécution des engagements domine et prime tous les droits, même celui de grève. D’ailleurs, l’administration de la marine constitue un arbitre permanent de tous les conflits. Elle considère donc ;

Que les lois maritimes doivent—être maintenues et appliquées dans l’intérêt général que le législateur avait en vue en les instituant ;

Que les intérêts du chargeur dont la marchandise est à bord, ceux du passager sur le point de partir, sont éminemment respectables, et ont droit à la protection légale, et qu’il faut une sanction au dommage que leur cause l’inscrit en désertant son navire.

Mais il faut rechercher ailleurs les causes profondes de ce qui se passe.

Trop nombreux sont les adhérents de la Société pour la défense du commerce qui ont eu à souffrir, depuis plus d’un an, des arrêts de travail et des mises à l’index, pour qu’elle n’ait pas été à même de suivre exactement la genèse du conflit qui ruine notre port.

Remontant à l’origine, elle doit protester contre la non-observation d’un contrat intervenu en mai 1903 entre l’Union syndicale des ouvriers des ports et docks et le Syndicat des entrepreneurs de manutention. Ce contrat stipulait formellement que tout litige serait déféré à un arbitre désigné, et qu’en aucun cas le travail ne serait suspendu. Ces deux conditions n’ont pas été observées.Les arrêts de travail, motives ou non, ont été se multipliant, rendant chaque jour plus incertaines les opérations maritimes.

Mais l’arrêt de travail n’est qu’un moyen d’application d’une mesure exceptionnelle, grave, que les syndicats ont rapidement rendue journalière la mise en interdit ou à l’index de tel patron ou de tel navire.

Il est évident que si toute une corporation se coalise contre un individu, celui-ci ne peut résister, et quels que soient le droit et l’énergie individuelle, ils ne sauraient soustraire le patron isolé à la défaite. L’emploi de la mise à l’index s’est généralisé et perfectionné, permettant à la main-d’œuvre d’imposer en tout ses volontés, mêmes arbitraires ; de nombreux exemples, en font foi.

La Société pour la défense du commerce constate d’autre part que la liberté du travail est un vain mot ; que si, au point de vue purement matériel, elle n’a pas été toujours assurée, moralement elle n’existe pas du tout ; que par la menace ouverte ou dissimulée, par l’intimidation directe ou indirecte, le travailleur de bonne volonté est privé de libre arbitre que tout citoyen doit posséder intégralement.

La puissance ainsi acquise par l’Union syndicale a engagé, ceux qui la dirigent à étendre son action en dehors de la zone où elle paraissait devoir, se limiter. Elle a fait appel aux.ouvriers charretiers tout d’abord, et par des combinaisons ingénieuses de mise à l’index indirecte, lésant, sans hésiter, les intérêts des tiers pour arriver à atteindre le patron visé ; elle a assuré à ses nouvelles recrues des victoires faciles sur les patrons camionneurs. Interprétant à sa guise une sentence arbitrale, elle exigé deux versements de sommes, fixées, sous couleur de restitution de salaires non payés, et pratiqué, an peut le dire, a leur égard, un véritable chantage.

L’Union syndicale englobe aujourd’hui les ouvriers des corporations les plus diverses elle prétend imposer ses décisions à tous les industriels, et déjà l’huilerie, la minoterie ont à subir ses exigences et ses procédés de pression.

En présence de cette force grandissante et irrésistible, la solidarité patronale devait fatalement se dresser un jour.

Elle s’est faite, et l’arrêt absolu de la vie même de Marseille en est la conséquence logique et inévitable. Il est évident que la crise dont nous souffrons n’est que la résultante d’un état de désordre déjà ancien. Il est évident que ce désordre résulte essentiellement de l’emploi par la main-d’œuvre syndiquée de moyens de coercition nouveaux.

Il est évident encore qu’elle a fait de ces moyens un usage excessif, qu’elle a employé la force syndicale, non pas à la défense de ses intérêts, mais à la ruine des intérêts patronaux, qu’elle en a profité pour imposer des exigences intolérables, formulant après chaque concession nouvelle —de —iiouvellêâ. reveadications. Il est xTéhiontrê que, dans maintes çirconstances, la mise à l’index a servi à soustraire les coupables à la répression des délits.

Il est donc constant que ceux qui dirigent la main-d’œuvre, mis par la loi on possession d’une arme de défense, le Syndicat, l’ont transformée, en même temps que détournée de son but, qu’ils en abusent, qu’ils se servent d’un droit légal dans un but illégal, et qu’il ne saurait être admis que ce qui est interdit à l’individu soit licite pour la coalition illicite elle-même.

La Société pour la défense du commerce appelle l’attention des pouvoirs publics sur cet état de choses elle fait ressortir qu’il ne dépend pas des particuliers, pas même des groupements, de remédier au mal qu’elle vient de décrire ceux-ci ne pouvaient que s’unir pour résister, et cette union nécessaire, justifiée, mettant en présence de toute la main-d’œuvre tout le patronat, ne peut qu’arrêter le mal, au prix d’ailleurs d’incalculables dommages, mais non cas le guérir. Elle adjure les pouvoirs publics d’intervenir en obligeant l’action syndicale à se cantonner strictement dans les limites de la légalité et du droit.

Malgré les protestations du commerce général contre la surélévation de leurs tarifs qui peut provoquer la fermeture d’un grand nombre d’usines, les entrepreneurs de camionnage ont voté ce soir dans une réunion générale les résolutions suivantes :

Attendu que la situation actuelle, si grave pour tous et absolument ruineuse pour leur industrie, n’est pas leur fait, ils en laissent à qui elle incombe toute la responsabilité ; considérant en outre qu’en raison de la situation toute spéciale dans laquelle ils se trouvent par le fait de leur matériel qui les place dans des conditions anormales et pleines d’aléas, ils ne peuvent être assimilés aux autres industriels les entrepreneurs de camionnage approuvent :

1° Le travail élaboré par la Commission nommée à cet effet 2° prennent l’engagement d’honneur de mettre en pratique à partir du 1er septembre 1904, l’application intégrale des nouveaux tarifs ; 3° dégagent leur responsabilité des rigueurs qui pourraient atteindre ceux de leurs collègues qui, au détriment de leur intérêt particulier et de ceux de la corporation en général, n’en feraient pas la stricte application.

Cette fois, comme je vous l’ai dit, c’est le patronat qui fait payer au patronat les concessions de salaires et d’heures de travail faites aux charretiers et chargeurs.

Ce matin, les inscrits ont de nouveau tenu une réunion.

Ils ont, sur la proposition de M. Rivelli, voté un ordre du jour invitant les camarades non syndiqués à se joindre à eux et une protestation contre l’emploi des contremaîtres comme gardiens de nuit à bord des navires. Enfin, avant de lever la séance, Rivelli, rappelant que la Chambre de commerce étudiait les moyens propres à amener l’apaisement, a émis l’opinion qu’il ne faut pas malgré cela, à cause des exigences des Compagnies, espérer un résultat. Cet avertissement a fâcheusement sonné aux oreilles des marins.

À la Bourse, où la Chambre de commerce tient ses assises, les membres de cette Compagnie ont, cet après-midi, entendu l’historique des pourparlers entrepris par M. Le Mée de La Salle. Le président de l’assemblée a exposé à ses collègues le résultat de ses négociations, d’ailleurs nul pour le moment. Il a exprimé l’espoir d’une entente et demandé à la réunion un blanc-seing pour continuer ses démarches. Cet encouragement lui a été unanimement donné.

Le bureau de la Chambre de commerce a décidé de, convoquer pour demain matin les représentants du Syndicat de la marine marchande, présidé par M. Albert Armand, et les délégués du Syndicat de la manutention. Après ces auditions, on verra si les dockers et les inscrits maritimes devront être de nouveau convoqués pour une entrevue avec le patronat. M. Le Mée de La Salle ne cache pas que rien ne peut aboutir si, de part et d’autre, des garanties ne sont pas données pour l’avenir.

M. Desfief, vice-président, à qui je demande son avis après la séance, pense que les garanties ne doivent pas être seulement morales, à supposer que les deux parties s’entendent, mais qu’il faut quelque chose de tangible, par exemple un cautionnement.

— À quoi servirait, dit-il, un nouvel arbitrage si celui-ci ne doit pas être plus respecté que les précédents ? En tout cas, ajoute-t-il, on ne pourra pas se prononcer avant quarante-huit heures sur l’issue possible des pourparlers. Nous sommes en pleine période de gestation.

M. Albert Armand, en qualité de président des Armateurs, est bien décidé à poser comme base d’un arrangement possible que les dispositions de l’inscription maritime seront rigoureusement appliquées. Ni faux-fuyants ni restrictions ne seront acceptés.

Le total des navires désarmés est, ce soir, de 84. Les bateaux étaient montés par près de 6, 000 hommes d’équipage.

Thomas. 

Barcelone, 30 août. 

En raison de la grève de Marseille, il arrive sans cesse ici de longs convois de voyageurs français qui viennent pour s’embarquer dans le port de Barcelone. Bon nombre de voyageurs partiront demain à bord de l’Argetia.

Un vapeur espagnol, venant de Majorque, est arrive ici aujourd’hui. Le vapeur Île-de-France est également venu pour prendre des passagers.


Paris au jour le jour


la journée

Anniversaires : De la reine Wilhelmine. — De la bataille de Bazeilles, 1870.

Examens d’admission à l’École polytechnique : Nancy (aptitudes physiques).

Concours : Dernier jour pour les demandes d’admission aux cours préparatoires de l’École nationale supérieure des mines (ministère des travaux publics). — Dernier jour d’inscriptions pour le concours d’admission aux emplois d’élève commissaire de la marine.

Mariage : De Mlle Yvonne de Premeur avec M. Collinet (chapelle du château de Pierre-fitte).

Obsèques : Du marquis Charles de Lur-Saluces (Sauternes). — De M. Joseph Firedberg (réunion à la porte principale du cimetière du Père-Laçhaise).


informations

Le Comité catholique pour la défense du droit communique la note suivante :

« Le Comité, qui n’a cessé de revendiquer pour tous les Français, à quelque religion, à quelque opinion philosophique qu’ils appartiennent, le "droit commun et les garanties que la Déclaration des droits de l’homme assure tous les citoyens ;

« Qui a constaté à maintes reprises qu’en s’attaquant à la religion les hommes politiques sont condamnés à fouler aux pieds les principes fondamentaux de la société française, liberté de conscience, liberté religieuse

» Renouvelle aujourd’hui ses protestations antérieures,

» Et déclare, en outre, que toute atteinte aux lois organiques de l’Église et à la juridiction spirituelle du Souverain Pontife est en même temps une atteinte à la liberté religieuse et aux droits de la conscience.

» Pour le Comité : 
» Léon Chaîne Félix Dupré, avocat à la

Cour d’appel ; FÉRAY-BUGEAUD D’ISLY, abbé J. M. Gkosjean, LE Roy-DuPRÉ, baron DE Loubmel, abbé J. MARTINET, abbé Maumus ; Camille PINTA, avocat ; J. Quincampoix, Henri SAINT RENÉTaillandier E. Vioixet, avocat à la Cour d’appel Paul ViotLET, membre de l’Institut. »


Enquête sur l'Université & la politique[1]

Une deuxième lettre de
 M. Alfred FOUILLÉE
  de l’institut
   Le Havre, 17 août.

 Monsieur,

Je suis surpris que vous trouviez la moindre « contradiction entre ce que je Vous écris aujourd’hui sur les droits à laisser aux professeurs et ce que j’écrivais hier sur les devoirs do ces mêmes professeurs, sur les convenances de toutes sortes qu’ils ont à respecter et que, par malheur, ils ne respectent pas toujours.

Le point de vue moral des devoirs ne contredit pas, il complète le point de vue juridique et politique des droits. Plus je suis large sur le chapitre des libertés, plus je suis sévère sur celui des responsabilités.

Je n’ai donc nullement changé d’opinion. Je suis seulement de plus en plus porté vers le libéralisme, à mesure que je vois, autour de nous, les partis politiques verser dans l’autoritarisme.

Voudrait-on encore supprimer les libertés que la loi laisse aux universitaires, qui sont une élite, sous prétexte que quelques-uns d’entre eux en ont fait un scandaleux abus ? Non, Que l’on respecte les libertés, mais que l’on définisse et assure efficacement les responsabilités. Il y a des Conseils académiques, un Conseil supérieur et un ministère de l’instruction publique il leur a ppartient de réprimer les abus, non de proscrire l’usage. Voilà ce que j’ai dit dans 1 ma lettre et ce que je maintiens fermement. A maintes reprises, j’ai protesté contre la situation de dépendance par rapport aux préfets, infligée aux instituteurs —par le bonapartisme et honteusement maintenue par la République dans un’intérêt électoral. Si je soutiens et ai toujours soutenu les droits légaux des professeurs, je les ai toujours déconseillés d’en user.à à tout propos et j’ai toujours blâmé comme le montrent les pages par vous citées ceux qui en usaient hors de propos. Pour ma part, quand j’étais professeur, j’aurais trouve injuste qu’on me retirât le droit de parler ou d’écrire ; mais j’ai toujours évité de me mêler aux luttes politiques. Il me semble que le théoricien compromet son autorité de penseur en se jetant dans la mêlée brutale des praticiens. Après la soutenance de ma thèse de doctorat, Gambetta, qui y avait. assisté, m’offrit une candidature de député je refusai énergiquement. Plus tard, on m’offrit une candidature de sénateur, —que je repoussai avec la même énergie. Mais, si d’autres se croient appelés à.une mission politique compatible avec leurs devoirs d’éducateurs, pourquoi voudrais-je les en empêcher ? On ne doit pas raisonner sur des cas individuels. De ce.que je n’ai pas trouvé bon d’user de mon droit, je ne puis en inférer que d’autres n’en doivent point user. A l’Université de reconnaître les intrigants et les sincères elle doit rejeter de son sein ceux qui outrepassent leurs droits et compromettent la mission éducatrice dont elle est chargée par l’Etat.. Dans sa classe, le professeur ne doit être que professeur et au-dessus de tous les partis. Hors de sa classe, il ne doit jamais oublier qu’il est professeur et solidaire des autres professeurs. Il n’en a pas moins le droit, si sa conscience lui en fait un devoir, d’exprimer ou de soutenir telle ou telle opinion qu’il croit vraie ; mais cela sous des conditions de modération, de justice, d’impartialité scientifique, que l’Université doit maintenir en vertu du droit des enfants, du droit des familles, du droit de l’Etat. Je n’ai pas assez de confiance dans l’infaillibilitéde nos gouvernements et de nos changeants ministères pour leur permettre de retirer d’avance la parole à ceux qui peuvent éclairer et diriger l’opinion. Je repousse tous les bâillons, mais je réclame les sanctions et je demande qu’elles ne soient pas un vain mot. De même pour la presse. Qu’on lui laisse ses libertés, mais qu’on assure strictement se’s responsabilités. C’est ce qu’on fait en Angleterre, c’est ce qu’on ne fait pas en France, où il y a beaucoup de lois et peu de sanctions. Vous vous demandez, monsieur, sous l’influence de quelles circonstances j’ai écrit jadis les pages assez sévères que vous citez, où je blâme à la fois les politiciens du Parlement et certains politiciens de’l’Université, lancés dans « la politique militante et violente ». Voici ma réponse. Vous rappelez-vous tout ce qu’on a écrit jadis sur « la crise des lycées », la crise des études classiques, la crise des classes de philosophie, etc. L’Université étaitalors critiquéeâprementparcertains députés et par certains journalistes, à cause des écarts de quelques-uns de ses membres. On publia même dans la Revue politique et parlementaire une sorte de réquisitoire contre les professeurs en général et, en particulier, contre les professeurs de philosophie. C’est alors que je condamnai avec vivacité les écarts de certains universitaires mais, en même temps, je montrai que, s’ils avaient commis des fautes en descendant dans la rue et en oubliant leur chaire, la principale responsabilité devait retomber, non sur l’Université, non sur les études classiqùes, non sur la philosophie, mais sur les (1) Voir le Figaro des 8, 9, 13, 15, 17, 19, 21 ; 23, |6 et 29 août. 7 V, /•" pMîticiens 3û Parlement bii’; « de —l’a » presse et sur leur mauvaise politique, propre à entretenir partout et à faire pénétrer jusque dans l’Université la discorde et la haine. Je défendais alors l’Université attaquée, comme je serais prêt à la soutenir encore contre tous les partis qui voudraient diminuer ses « libertés nécessaires ». Certes, si vous donnez à des hommes une liberté, quelques-uns en abuseront ; mais, si vous donnez à des’hommes unpouvoir sur la liberté d’autrui, l’abus est encore plus certain. En l’absence de toute autorité infaillible, le plus sage n’est-il pas de respecter les libertés en leur imposant à elles-mêmes.la règle du, respect mutuel, e’est-à-dir.e de la justice ? Plus que jamais je compte sur l’élite universitaire et sur son libéralisme pour contre-balancer l’influence des sectes politiques qui, soit à l’extrême droite, soit à l’extrême gauche, rêveraient de confisquer nos libertés au nom de leurs dogmes. Quel qu’il soit, tout dogme est antipathique au philosophe comme étant la négation de la philosophie même. Alfred Fouillée. Nous sommes très heureux d’avoir, par une réflexion naïve, provoqué de la part de l’éminent philosophe un si clair développement de sa pensée. Nous savons à présent qne M. Fouillée n’a pas changé d’opinion, mais qu’il est seulement devenu plus « libéral ». Cette précision était nécessaire. (A suivre.) Jules Huret. EIN" VACANCES Les grandes distractions de la campagne sont les promenades en automobile, en voiture, les parties de chasse ; mais’le plaisir n’est pas parfait si l’on ne se sent pas à l’abri des malaises provoqués par la fatigue et la chaleur. En ayant le soin de se munir d’un flacon de « Ricqlès », on se donne toute sécurité. Remède souverain contre les étourdissements, les maux de cœur, les troubles digestifs, le « Ricqlès » est aussi la boisson la plus saine et la plus désaltérante. Eviter les imitations en exigeant du «  Ricqlès ».


Absent et trop éloigné de Paris pour pouvoir être chargé du douloureux devoir d’annoncer la mort de Fantin, je souhaiterais cependant qu’il me fût permis de compléter par quelques souvenirs personnels la physionomie d’un homme qu’il m’a été donné de connaître et d’aimer infiniment. Son œuvre est d’une telle importance et d’une telle beauté, qu’il sera encore longtemps d’actualité de parler de lui, et quoi qu’illustre, il était cependant si peu connu, dans son isolement volontaire, qu’il est bon de contribuer à faire savoir quel homme c’était au juste, et de contribuer à répandre le portrait vrai de celui qui fut un si admirable portraitiste.

Je viens d’indiquer en deux mots, presque sans le vouloir, un trait essentiel de cette carrière et de ce caractère : le volontaire isolement. Ne croyez pas que cela tînt à de la misanthropie, ni à de l’orgueil. Il n’était pas d’homme meilleur et chérissant ses amis d’un cœur plus chaleureux, et d’autre part, je puis attester combien il était modeste, inquiet de bien faire, incertain et anxieux du résultat de son effort. Mais son isolement tenait surtout à deux causes : avant tout, à un labeur incessant, acharné ; puis à un sentiment excessivement délicat et scrupuleux de la dignité humaine.

Le travail : toutes ses matinées, toutes ses journées lui étaient consacrées. À peine s’accordait-il deux heures de sortie dans le vieux Paris qu’il aimait, vers le soir. Les après-dînées, il travaillait encore, mais cette fois en lisant les œuvres des poètes, les vies des grands artistes, tout ce qui pouvait l’entretenir dans le culte des nobles pensées, et nourrir cette belle vision poétique, si pure, si claire, si enflammée qu’il cherchait à exprimer dans ses symphonies de formes et de couleurs. Il n’avait donc pas une minute à perdre, et dans ses dernières années, il avait pris l’habitude de rapporter de cette campagne fleurie de Buré un si grand nombre de projets, d’esquisses merveilleusement jaillies, qu’il était comme effrayé de tout ce qu’il aurait encore à dire, et qu’il devait fermer de son mieux la porte de son atelier aux visites qui se faisaient plus nouvelles et plus nombreuses.

Ah ! ce petit atelier de la rue des Beaux-Arts ! Comme il était d’un autre temps, comme on s’y trouvait soudan transporté à l’époque encore voisine et pourtant si lointaine de Corot, de Delacroix. Ceux qui l’ont vu se souviendront toujours de cette retraite exiguë, si pleine d’œuvres, et si pleine de précieux documents. Dans une première pièce s’empilaient les moulages de l’antique, les portefeuilles bourrés de photographies des œuvres des maîtres, car Fantin était un des artistes les mieux au courant non seulement de la technique, mais encore de l’histoire de son art.

Il vous accueillait sur le seuil, et lorsque vous étiez l’importun, il avait vite fait de vous dévisager avec son œil bleu et profond ; son front qui devenait sourcilleux et deux ou trois paroles sans réplique avaient tôt fait de vous éconduire. Mais si vous étiez l’ami de pensée, l’homme qu’il sentait capable de le comprendre et surtout de comprendre les choses qu’il aimait, le sourire était plein d’une cordialité française d’autrefois et l’accueil réconfortant au suprême.

On était alors introduit dans l’atelier oblong, rez-de-chaussée dont les murs étaient couverts de recherches, d’études, de copies et de certaines œuvres capitales dont le maître ne voulut jamais se séparer. Pendant longtemps, il y eut au fond le célèbre Hommage à Delacroix, puis ce fut l’admirable tableau des Portraits de la famille D… On vit aussi là, des années, l’Hommage à Berlioz que Fantin, on peut dire, donna au musée de Grenoble, sa ville natale.

Ces copies nombreuses d’après Véronèse, Rembrandt, Titien, qui avaient une grande valeur, car elles étaient en même temps des transcriptions fidèles et de très personnels Fantins, lui rappelaient les années de jeunesse, si assidûment passées dans les galeries du Louvre. C’est au Louvre qu’il avait connu Millet, Millet qui en quelques mots d’une éloquence simple lui avait fait comprendre la beauté de Raphaël, entre autres de l’Archange Saint-Michel. C’est au Louvre que, malgré sa fierté timide et sa presque farouche réserve, il s’était lui-même présenté à Manet, copiant alors la Vierge au lapin du Titien, pour le féliciter de son Guitarero. Que dire enfin ? Le Louvre et ses copies lui rappelaient les plus enthousiastes heures et les plus chers souvenirs.

Avec de tels souvenirs et une œuvre si considérable à accomplir, il vivait le moins possible dans son temps, où sa droiture trouvait des sujets de tristesse et sa sagacité des sujets de critique. Mais il y avait assez à faire de s’entretenir avec lui sur les temps et les hommes de son choix. Les beaux entretiens d’art qu’il y eut là ! Je me souviens avec ravissement d’une conversation qui me semble presque toute récente, entre lui, la veuve du grand critique et du grand raffiné Burty, et du poète de Heredia, qui venait lui demander une illustration lithographique pour les œuvres d’André Chénier. La riche connaissance qu’il montra de l’œuvre de Chénier et de la poésie en général !

C’était cet amour de la poésie et ce sentiment poétique des choses qui le captivèrent de plus en plus, lui qui au début de sa carrière avait passé pour un réaliste, sans doute parce qu’il avait été élève de Courbet, lui qui avait dû une partie de sa notoriété à ses œuvres d’après nature, à ses portraits si puissants et si vrais, – mais qui, à y bien regarder, sont, eux aussi, d’un grand et sévère poète. Les grands poètes n’écrivent-ils pas l’histoire encore mieux que tous les autres, quand ils s’y mettent.

On lui demanda parfois pourquoi il ne reprenait pas de tels sujets. Il répondait que pour peindre ainsi des groupes de portraits, tels que l’Hommage à Delacroix, l’Atelier à Batignolles, le Coin de table, etc…, il faut de vraies occasions, qu’il faut vivre vraiment avec ses modèles réunis par le difficile concours de l’heure, de la lutte commune, qu’il faut les tenir à portée de sa main et de son esprit, et se tenir à portée des leurs propres. Enfin, que de pareilles entreprises ne doivent pas se faire sans de graves raisons.

Puis, il avait débuté aussi comme pur orchestrateur des tons splendides et des formes de rêve avec la Féerie, refusée au fameux salon de 1863. Il ne faisait donc que continuer une partie de son évolution, et il était parfaitement logique avec lui-même.

Et d’ailleurs, dans ces rêves même, il apportait des transes, à tout le moins des scrupules admirables. Je me souviens qu’un jour je lui écrivais mon étonnement que lui qui avait consacré des œuvres si admirables, peintures ou lithographies, à chanter par la couleur la gloire et le génie, et les muses inspiratrices de Schumann, de Berlioz, de Wagner, de Rossini, il n’eût pas essayé au moins une fois de rendre le même hommage à Beethoven.

Il me répondit par ces simples mots sur une carte : « Beethoven ! je n’ose pas ! »

L’homme était dans ces mots-là, tout plein de foi et de trouble en même temps, éperdu d’admiration sous ses airs sévères, et tourmenté d’angoisse véritable, austère vis-à-vis des autres, mais plus encore vis-à-vis de lui-même.

Que de preuves j’aurais à apporter de son tourment d’artiste, de sa pureté d’âme, de sa superbe dignité de caractère qui poussa jusqu’à la crainte d’une bassesse l’ombre même d’une démarche pour recueillir le légitime fruit de son ample labeur, de sa gloire acquise.

Mais il faut se borner dans les souvenirs que comporte la longueur d’un article de journal écrit sous l’impression d’un grand trouble et d’un véritable désarroi de cœur. Il faut renoncer à dire quel causeur exquis, quel esprit renseigné sur toutes choses. On risquerait de retrouver des exemples moins saisissants et d’omettre les plus beaux. Cela ne se fera pas en un jour. Au reste, tout se résume dans un mot : « C’est encore un grand homme et un vrai qui s’en va… »

Arsène Alexandre. 

Journaux et revues


Marseill

e

Que pense de la situation de Marseille M. Camille Pelletan ? Un rédacteur de la Petite République est allé poser cetie question piquante au ministre, hélas de notre marine. Il a répondu ceci, qui est simpliste et à peu près cocasse En somme, il n’y a présentement en cause que la grève des armateurs on ne peut plus dire que les inscrits maritimes ont cessé le travail ; ils subissent simplement un chômage imposé par les compagnies de navigation. Ces pauvres et chers inscrits ! Et ces malins inscrits qui « laissent aux armateurs la responsabilité de leur entêtement borné et systématique ? » Mais oui, ces armateurs sont de vilains entêtés. Et le ministre n’est pas de ces hommes d’Etat qui, dans une grève, s’abstiennent de prendre parti. Les armateurs sont des riches haro 1 Voyez comme il les traite De quoi se plaignent, en effet, ces messieurs, et que disent-ils ? Qu’ils n’exécuteront le contrat qui les force à assurer les relationsentre la France et ses colonies que lorsque le gouvernement aura interprété à la lettre le décret de 1852, appliquant les peines qui visent la désertion à tout inscrit qui quitte son bord. Eh bien, ajoute avec vivacité le ministre de la marine, je n’appliquerai pas ce décret pour deux raisons très simples. La première, c’est que M. de Laaess.aa, mon prédécesseur, s’est refusé avant moi à l’appliquer, sur les conseils mêmes des amiraux de son entourage. Ho, ho ! voici M. Pelletan qui s’appuie sur l’autorité des amiraux, à présent ?, Mais surtout, la deuxième raison le décide affirmons le droit de grève. Sans doute, il faut à bord d’un navira « une discipline ». Oui, M. Pelletan le concède. Mais tout cela n’arriverait pas «  si les compagnies maritimes voulaient entrer en rapport avec les inscrits et discuter loyalement leurs réclamations au lieu de se refuser catégoriquement à reconnaître leur Syndicat ». Ces chers inscrits, ces camarades de M. Pelletan ! Là-dessus, le ministre serre ta main de la Petite République. Un rédasteur du Matin n’a pas,

  1. Voir le Figaro des 8, 9, 13, 15, 17, 21, 22, 26 et 29 août.