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possède à Orival, dans lequel sont réunis, en une salle, quatre cents ouvriers et quatre cents métiers éclairés, pendant les matinées et les soirées d’automne, par quatre cents becs de gaz.

« Cet atelier, à rez-de-chaussée, du genre de ceux qui sont adoptés aujourd’hui dans l’industrie du tissage, a 61m,20 de longueur sur 33m,10 de largeur. Sa hauteur sous les entraits n’est que de 3m,30. Il est partagé en dix-sept travées couvertes par autant de petits toits à deux pans inclinés : l’un à un de base sur deux de hauteur, couvert en zinc, est plein et laisse écouler les eaux.

« La surface du plancher est de 2 025 mètres carrés, ce qui correspond à 5m,36 seulement par ouvrier.

« La capacité totale de l’atelier est de 6 000 mètres cubes environ, déduction faite de l’espace occupé par le matériel, ce qui n’alloue que 15 mètres d’espace cubique pour chaque ouvrier.

« Enfin, cet atelier n’est pas encore chauffé l’hiver, ce qui, outre l’inconvénient d’y permettre dans cette saison un trop grand abaissement de la température, présentait alors une difficulté grave pour l’établissement de la ventilation.

« D’après les renseignements de M. le Dr  Penot, de Mulhouse, les conditions hygiéniques des ateliers à rez-de-chaussée de cette ville sont beaucoup plus favorables.

« Dans les tissages à rez-de-chaussée, on alloue par ouvrier environ :

« 12 à 14 mètres carrés de surface de plancher,

« 45 à 55 mètres cubes de capacité,
et l’on assure le renouvellement de l’air par une ventilation dont nous ne connaissons malheureusement l’énergie par aucune expérience publiée jusqu’ici, et qui est produite tantôt uniquement par appel, tantôt simultanément par appel et par des moyens mécaniques.

« Le grand nombre des ouvriers, la nécessité de maintenir les chaînes des toiles à un état convenable d’humidité, l’influence des produits de la combustion du gaz, l’absence d’une ventilation suffisante et régulière, rendaient l’atelier d’Orival tellement insalubre, que le nombre des ouvriers indisposés ou malades dans la partie centrale la plus éloignée des portes d’entrée et de sortie, y était habituellement de trente à quarante, sur lesquels une douzaine, en moyenne, étaient obligés de suspendre le travail et de garder la chambre.

« Les ouvriers valides, souvent incommodés l’été par la chaleur, l’hiver par les émanations du gaz, étaient obligés de sortir pour respirer de l’air pur ; beaucoup d’entre eux éprouvaient un malaise qui leur enlevait l’appétit, la vigueur : la production de l’atelier s’en ressentait.

« Telles étaient les conditions fâcheuses auxquelles M. Fournet regardait comme un devoir de porter remède, sans se préoccuper des sacrifices à faire pour y parvenir.

« Les travaux commencés en juin n’ont été complétement terminés, et le service de la ventilation n’a fonctionné régulièrement, qu’à partir du mois d’août 1868. Dès les premiers jours, l’amélioration dans l’état de l’air de cette salle, précédemment infectée d’odeurs nauséabondes qui causaient aux ouvriers un malaise indéfinissable et leur enlevaient une partie de leur énergie, devint immédiatement sensible ; mais j’ai voulu attendre qu’un intervalle de temps suffisant se fût écoulé pour permettre d’en apprécier avec certitude les conséquences.

« Il y a maintenant près de dix mois que la ventilation, complétement mise en activité vers le milieu d’août 1868, fonctionne régulièrement. Les rapports mensuels du médecin de l’établissement et ceux du sous-directeur constatent que le nombre des malades a considérablement diminué, et que c’est à peine si, aujourd’hui, sur les 400 ouvriers, il en manque au travail 3 ou 4 par jour, au lieu de 10 à 12 en moyenne qui étaient retenus chez eux.

« Or, une diminution moyenne de 7 à 8 dans le nombre des malades par journée de travail correspondant à 2 100 ou 2 400 journées pour une année, équivaut, tant en frais de maladies qu’en pertes de salaires, pour les ouvriers seuls, à plus de 4 000 à 5 000 francs par an.

« Des indices certains et indépendants de toute prévention favorable montrent qu’en effet l’état hygiénique des ouvriers s’est notablement amélioré. L’un des plus caractéristiques est fourni par l’accroissement de la production de l’atelier, qui s’est élevée à plus de 6 pour 100 par le seul effet de la plus grande activité qu’ils apportent au travail.

« Une autre preuve plus caractéristique encore de l’amélioration de la santé des ouvriers a été fournie par le service de la boulangerie établie dans les usines de M. Fournet, pour leur livrer du pain de bonne qualité au prix de revient.

« L’administrateur de cette boulangerie, surpris d’avoir à constater un accroissement très-notable dans la consommation, en a fourni l’état suivant au chef de l’établissement.

Consommation de pain pendant les trois derniers mois de 1867 et de 1868 :
1867 (l’atelier n’est pas ventilé) : 15 656 kilogr.
1868 (l’atelier est ventilé) : 20 014
Différence 
4 358 kilogr.

« Ces résultats n’ont pas besoin de commentaires.

« En résumé, on voit par cet exemple quelle salutaire influence peut exercer sur la santé des nombreux ouvriers de certains ateliers un renouvellement abondant de l’air, que l’on peut obtenir sans dépenses journalières, comme dans le cas présent : les frais d’installation de la canalisation nécessaire seront toujours fort peu dispendieux, si l’on s’en occupe lors de la construction des usines ; on a même vu que, quand on ne l’établit qu’après coup,