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France, en Russie, en Italie, en Allemagne, c’est l’autre solution qui a prévalu, c’est-à-dire que l’on a conservé les obusiers ordinaires et chargé les obus avec la dynamite.

Pourquoi ?

D’abord, parce que les poudres progressives n’ont pas fourni des résultats satisfaisants. C’est en vain qu’au Bouchet, notamment, on s’est efforcé de perfectionner la poudre prismatique ; on n’est pas arrivé à la certitude, et en pareille matière, le doute n’est même pas admissible. Supposons qu’on se soit trompé, que la charge s’enflamme brusquement ; l’obus, qui contient assez de dynamite pour faire sauter une portion de rempart, éclate dans l’âme de la pièce ; le canon est rompu, et ses morceaux sont projetés tout à l’entour, en tuant les canonniers. Voilà de terribles accidents, dont nul n’oserait assumer la responsabilité.

En Allemagne, on a fabriqué des obus de 21 centimètres, que l’on charge de coton-poudre. Ces projectiles sont en acier, à parois minces. D’après le général belge Brialmont, ils contiennent 26 kilogrammes de pyroxiline humide et comprimée. Quand l’obus est chargé, on y introduit de la paraffine fondue, destinée à boucher les interstices et à empêcher la dilatation de l’eau qui entre dans la composition de la pyroxiline. Au centre de la partie supérieure de l’obus, on place une charge de coton-poudre, munie d’une capsule de fulminate de mercure.

Des expériences ont été faites, avec ces projectiles, au polygone de Kummersdorf, et aux environs de Cosel. Le polygone de Kummersdorf a été construit en 1878, par les soins et aux frais de l’usine Krupp ; c’est le polygone le mieux aménagé qui existe en Europe.

Les obus dont nous parlons, pénétrèrent à 4 mètres de profondeur, dans les terres sablonneuses de ce polygone, et creusèrent un entonnoir de 4 mètres 80 de diamètre, sur 2 mètres 40 de profondeur. Les officiers de pionniers allemands avaient édifié une voûte en pierres, d’une épaisseur d’un mètre, protégée par une couche de sable de 3 mètres : les obus entrèrent dans la voûte, et la détruisirent !

À Cosel, l’artillerie allemande s’exerça à battre en brèche des fortifications déclassées ; les obus de 21 centimètres chargés de pyroxiline percèrent des voûtes maçonnées recouvertes d’un mètre de béton !

Contre les coupoles cuirassées, l’action de ces projectiles fut moins considérable : l’obus éclatait en touchant la coupole, et ne produisait guère que l’effet d’un obus chargé de poudre ordinaire. À ce propos, le général Brialmont exprimait l’opinion que les substances explosives n’agissent pleinement que lorsqu’elles sont en contact intime avec l’obstacle à détruire.

Mais si l’obus glisse sur une coupole métallique sans effets destructeurs, il exerce, au contraire, des ravages prodigieux quand il vient à rencontrer les fondations, en granit ou en béton, des tourelles.

En Russie, l’artillerie a essayé d’utiliser la helloffite, substance inventée par MM. Hellhoff et Gruson, et qui paraît être une dissolution de nitro-benzine dans de l’acide azotique concentré. C’est un liquide rougeâtre, épais, corrosif et très instable, que l’on utilise, comme la nitro-glycérine, en la mélangeant avec une base inerte. Alors elle résiste aux chocs, à l’action du feu, et ne détone plus que sous l’influence d’une capsule chargée de fulminate de mercure ; on peut donc la transporter d’un endroit à un autre, sans courir un danger quelconque. Seulement, la helloffite est tellement volatile qu’on est obligé de l’enfermer dans des vases hermétiquement clos ; enfin, il suffit qu’elle soit mélangée avec de l’eau, pour qu’elle perde aussitôt ses qualités. On ne doit donc songer à l’utiliser que pour l’artillerie de terre ; elle ne rendrait aucun service pour les défenses sous-marines.