Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 6.djvu/158

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Nous allons retracer le plus clairement possible les transformations qu’a subies, depuis 1870 jusqu’à l’heure actuelle, le matériel de notre artillerie.

Faisons remarquer, avant d’aborder notre sujet, que depuis trente ans l’artillerie a pris un rôle tout à fait prépondérant dans les campagnes militaires. Si l’infanterie est la reine des batailles, si c’est elle qui se meut le plus facilement, qui se fractionne ou qui se masse le mieux, suivant la volonté du général en chef, c’est l’artillerie qui prépare le combat, et dont l’intervention transforme en déroute la défaite de l’ennemi. C’est elle aussi qui, dans certaines circonstances désespérées, sauve une armée compromise. Le 6 août 1870, à Wœrth, quatre batteries placées sur les hauteurs de Langensoulzbach eussent permis au maréchal de Mac Mahon de se retirer sans être sérieusement inquiété. La charge des cuirassiers, cette charge immortelle, n’aboutit, au contraire, qu’à une inutile effusion de sang.

L’artillerie n’agit pas, d’ailleurs, uniquement par ses projectiles. Le bruit du canon produit un effet moral immense ; les plus grands capitaines l’ont reconnu. À mesure que la qualité de ses troupes diminuait, Napoléon Ier augmentait le nombre de ses canons. À la bataille de Rivoli, il n’avait qu’une pièce pour mille hommes ; à la bataille de Leipzig, il en avait quatre pour un effectif égal.

Si le rôle de l’artillerie, en temps de guerre, est immense, il n’est pas moins important en temps de paix. L’artillerie française, dont le domaine est encore plus vaste que celui des autres artilleries européennes, ne s’occupe pas seulement de son armement ; c’est elle qui est chargée de fournir leurs fusils aux régiments d’infanterie et leurs sabres aux régiments de cavalerie. Par ses établissements, ses directions, son budget, elle assure et prépare l’outillage de la défense nationale.

C’est l’importance donnée depuis quelques années au poste de Directeur de l’artillerie, au Ministère de la guerre, qui a assuré, de nos jours, les progrès de cette arme.

On sait que dans l’ancienne armée française, il existait un grand maître de l’artillerie qui imposait à ce service une direction unique et continue. Les Sully et les Gribeauval ont illustré ce poste. Supprimé par la Convention nationale, remplacé par le Comité d’artillerie, le grand maître de l’artillerie a été indirectement rétabli de nos jours. Après d’innombrables tâtonnements, on a fini par en revenir, sous un autre nom, à ce poste supérieur.

Aujourd’hui, le comité d’artillerie n’est plus qu’une commission consultative ; c’est le Directeur de l’artillerie, c’est-à-dire le général placé à la tête de la troisième direction du Ministère de la guerre, qui résout toutes les questions touchant à l’armement. Ce général, quelque nom qu’il porte et quelle que soit la durée de ses fonctions au Ministère, est, en réalité, le grand maître de l’artillerie française. Il n’est point responsable devant les Chambres, puisque le Ministre de la guerre signe les règlements, défend les projets de loi et les demandes de crédits ; mais, s’il demeure officiellement à l’écart, le Directeur de l’artillerie sait ce que le pays attend de son initiative et de son zèle. Il sait que notre artillerie ne doit pas être distancée par celle d’une autre nation ; il sait qu’au jour des batailles, les obus, les shrapnels, les explosifs, seront autant de facteurs de notre victoire, et il n’écoute que les conseils que lui dicte son patriotisme.

En 1874, quand nous avions à peine entrepris la réorganisation de notre armée et la fabrication de notre matériel, le directeur de l’artillerie était le colonel Berge, maintenant général de division et commandant du 14e corps d’armée, à Lyon. Il y avait à craindre, en ce moment, une nouvelle inva-