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par le fait, en harmonie avec les tendances actuelles des Amirautés. Elle ne s’est pas ruinée en constructions de navires cuirassés, et conformément à l’esprit du jour, elle s’applique à constituer une flotte de croiseurs rapides et de torpilleurs. Ses quatre cuirassés, commandés par de bons officiers, et manœuvrés par d’excellents équipages, suffiraient à composer une flotte de guerre, dans les conditions actuellement acceptées comme vraies.

La Turquie s’est longtemps appliquée à développer sa flotte militaire. Elle a fait construire, dans les chantiers anglais et français, jusqu’à dix bâtiments cuirassés. C’était la grande préoccupation des derniers sultans de Constantinople. Mais aujourd’hui, ces cuirassés sont vieux, et la guerre des Turcs contre les Russes, en 1877, a prouvé que les marins turcs, quel que soit leur courage militaire, ne possèdent pas les qualités nécessaires pour tirer parti de leur matériel naval. Il faut encore aujourd’hui, aux cuirassés turcs, des mécaniciens et des chauffeurs étrangers, pour diriger la marche et exécuter les manœuvres.

Pour terminer cette revue par les peuples chez lesquels la marine militaire est sans importance, disons que le Portugal n’a qu’un cuirassé et quelques croiseurs, qui suffisent, en temps de paix, à son commerce et à ses colonies, mais qui seraient bien au-dessous des besoins, en cas de guerre. C’est ce que l’on a vu, au mois de janvier 1890, dans le conflit du Portugal avec l’Angleterre, où cette dernière puissance, prompte à montrer les dents, fit rapidement baisser pavillon au gouvernement portugais, devant la simple menace d’envoyer ses forces navales devant Lisbonne.

La Grèce n’a que quelques navires de guerre, de peu de puissance.

La Hollande, le Danemark, la Suède et la Norvège, se contentent de quelques croiseurs et de flottilles de torpilleurs, spécialement constituées pour la défense des côtes, mais non pour l’attaque. Monitors, canonnières, croiseurs, bateaux torpilleurs, telles sont les bases de leurs insignifiantes forces navales. Mais les officiers qu’elles possèdent, très instruits, avec des matelots très braves, très disciplinés, et rompus au métier de la mer, suppléeraient, en cas de guerre, à l’insuffisance de ce matériel, surtout grâce à l’ardent patriotisme qui anime les peuples du Nord.

Si nous passons aux États-Unis d’Amérique, nous y trouverons une situation toute différente de celle qui existe en Europe, situation résultant, elle-même, de la différence des conditions politiques. Chez cette heureuse et puissante nation, la guerre est considérée comme une exception passagère, qu’il faut parfois subir, en vue de nécessités pressantes, mais qui ne doit pas être un élément à considérer en tout temps, et dont on ait à se préoccuper sans cesse, comme on le fait en Europe. Quand la guerre de Sécession éclata, les deux partis ennemis constituèrent une flotte de guerre avec leurs navires de commerce et les ressources de leurs vastes chantiers maritimes. Mais une fois la paix conclue, on a laissé pourrir dans les ports cuirassés et torpilleurs, et on ne les a pas remplacés. En moins de quatre années à l’époque de la guerre civile, on avait vu surgir cinquante à soixante vaisseaux cuirassés, et cinq cents à six cents navires de guerre, de toute espèce, grands cuirassés, monitors, corvettes, canonnières, bateaux de rivière, torpilleurs, etc. La guerre terminée, on ne s’est pas inquiété de les entretenir ou de les conserver. On a seulement construit quelques cuirassés, quelques croiseurs et quelques torpilleurs, que, d’ailleurs, on ne fait guère manœuvrer.