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dépit de cette augmentation d’intensité, il a été constaté (malgré bien des assertions contraires) que la lumière électrique ne perce pas le brouillard mieux que celle des lampes à huile, à pétrole, et même que la flamme du gaz.

D’autre part, la portée de visibilité n’est pas plus grande avec l’électricité qu’avec les lampes à pétrole, ou même avec la flamme du gaz, qui a été expérimentée dans ce but. Tant que l’on n’aura pas trouvé le moyen d’accroître la distance de visibilité de la lumière électrique, les gouvernements hésiteront à généraliser son emploi dans les phares, car son installation et son entretien sont assez coûteux et ne sont pas toujours justifiés par les avantages.

M. Allard, inspecteur général des phares, de France, a fait une série d’expériences et de calculs, qu’il a consigné dans un mémoire Sur l’intensité et la portée des phares, et qui renferme les comparaisons suivantes :

Si l’on prend à titre d’exemple, un phare de premier ordre, à l’huile minérale, comme celui de Dunkerque, donnant un éclat de 6 250 carcels, et en supposant un appareil vingt fois plus puissant, c’est-à-dire de 125 000 carcels, il est facile, dit M. Allard, de déterminer la portée des deux foyers.

Par une transparence moyenne de l’atmosphère, les portées correspondant à ces deux intensités lumineuses sont 53 kilomètres et 75,40 kilomètres ; on gagne 42 p. 100. La portée est ainsi augmentée dans le rapport de 1 à 1, 42 lorsque l’intensité l’avait été dans le rapport de 1 à 20.

Par un état de l’atmosphère moins transparent, les portées sont de 24 et de 32 kilomètres ; on ne gagne plus que 34 p. 100.

Enfin par un temps de brouillard qui règne pendant dix nuits environ par an, les portées sont respectivement réduites à 3, 7 et 4, 6 kilomètres. On gagne à peine 24 p. 100 en multipliant par 20 l’intensité du phare.

Ainsi, les phares électriques ne dépassent pas en portée les phares à l’huile minérale.

MM. Sautter et Lemonnier avaient eu une idée très ingénieuse pour augmenter la distance de visibilité des feux électriques. Comme la courbure de la terre est le seul obstacle à une portée plus considérable des feux, ils avaient pensé que si l’on éclairait avec puissance les nuages, dans la région du ciel au-dessus du phare, les navigateurs pourraient reconnaître la position de ce même phare, avant que leur œil eût atteint le plan de l’horizon tangent à la courbure de la terre, et passant par le foyer lumineux du phare.

MM. Sautter et Lemonnier firent des expériences dans ce sens, au phare de Berdiansk, aux bords de la mer d’Azow. L’appareil optique était dirigé de telle sorte qu’une partie de la lumière était envoyée verticalement sur les nuages. On constata ainsi que les feux électriques étaient aperçus à une distance beaucoup plus grande. C’est là un résultat très important : il est fâcheux que ces expériences n’aient pas été poursuivies, de manière à amener une application pratique de ce fait intéressant. On a pensé, sans doute, que comme les nuages ne couvrent pas toujours le ciel, dans nos climats, et qu’ils sont fort rares dans les régions méridionales, ce procédé ne serait pas susceptible d’une application générale.

Sauf l’adoption de la lumière électrique dans un certain nombre de phares, français et étrangers, on n’a pas apporté de perfectionnement sensible à leur outillage optique et mécanique, pas plus qu’à leur style architectural, depuis l’année 1870, date de la publication de notre Notice des Merveilles de la science. Mais un monument, héroïque, pour ainsi dire, apparut à l’Exposition universelle de 1889. La tour Eiffel est venue étonner le monde industriel, par la hardiesse de sa construction, par ses proportions extraordinaires, par la nouveauté des principes mécaniques qu’elle a inaugurés, par l’emploi exclusif du fer dans les édifices, enfin par la puissance du foyer lumineux qui la surmonte, et la portée des feux qu’elle promène aux quatre coins du ciel.