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sant qui se découvre, et pendant quelques secondes, tient son chapeau à la main.

Ce chapeau n’est pas un chapeau : c’est une chambre obscure, dissimulée au fond du couvre-chef ; l’opérateur n’a pas voulu saluer, mais bien photographier son modèle.

Remarquez un quatrième amateur. Il tient à la main une lorgnette. Cette lorgnette n’est pas une lorgnette : c’est encore un appareil photographique secret, qui prend, à la dérobée, l’empreinte de la même scène.

Pendant que nos quatre amateurs s’escrimaient, à tour de rôle, un autre s’arrêtait au bord du trottoir, entr’ouvrait son gilet, et du bout du doigt, semblait effleurer un des boutons de son habit.

Ce gilet n’était pas un gilet : c’était une cuirasse photographique. Un imperceptible ressort avait déplacé la lentille d’un objectif, pour la mettre en rapport avec une chambre obscure, de forme aplatie, cachée sous son vêtement. Comment se douter qu’une lentille photographique se trouve perdue au milieu des boutons d’un gilet ?

Un sixième passant s’arrête ; il tire de sa poche un revolver, et il appuie sur la détente de son arme, qui parcourt plusieurs crans, avec un bruit de fer. Rassurez-vous pourtant. Ce passant ne veut tuer personne. Il veut, seulement, à chaque détente du tourillon de son arme, prendre un nouveau cliché.

Telles sont les surprises charmantes et les distractions pleines d’une saveur innocente et naïve, que la photographie instantanée offre aux nombreux amateurs de cet art nouveau. Est-il une distraction plus heureuse, plus agréable, plus digne des loisirs d’un galant homme ? Toutes les autres occupations des gens du monde sont coûteuses, dangereuses, ou inabordables à la masse des particuliers. Le collectionneur de tableaux et d’objets rares se ruine ; le joueur brûle son sang et son âme, aux terribles émotions du baccara ; les courses de chevaux ne sont pas des distractions, mais de fiévreuses transes ; la peinture et la sculpture exigent une vocation spéciale et de longues études ; les travaux littéraires ne sont pas à la portée de tous ; seule, la photographie instantanée procure à l’oisif intelligent une distraction facile et charmante. Le papier bromuré et la glace sensible remplissent à merveille les moments de l’homme désœuvré, mais amoureux de l’art. C’est en pleine campagne, au sein de la nature, qu’il peut chercher ses modèles et ses sujets. Et, comme récompense de ses travaux et de ses opérations de laboratoire, il a une série de vues, qui peuvent orner son salon, remplir ses albums et mériter les éloges de ses proches et de ses amis. Tout cela ne demande qu’un peu de goût, une adresse de main qui s’acquiert et reste acquise, de l’intelligence et de bons instruments d’optique. Ne soyons donc pas surpris, dès lors, de voir que la photographie d’amateurs soit devenue aujourd’hui l’apanage de tous, et que cet art fidèle et discret trouve dans les deux mondes une armée de pratiquants et d’adeptes.

fin du supplément à la photographie.