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semaines ici, et qu’il fasse mauvais temps, ce que je vais m’ennuyer ! »

Il fait un soleil radieux. Pierrette conduit hardiment. Ils vont au Pont de Québec. Elle a choisi, pour l’aller, de passer par Saint-Romuald et de revenir par Sillery. M. de Morais demande :

— Voulez-vous que je me charge de guider l’auto sur la passerelle ?

— Merci, je suis habituée.

Pierrette appuyée au bastingage, semble oublier ses compagnons, et songe en considérant le sillage blanc que laisse derrière lui le traversier. Le temps est calme, pas de houle. La vague est bleue, l’air est un peu vif, il n’est que neuf heures, et avec cette heure avancée, huit heures au soleil, qui n’a pas jugé bon pour complaire aux hommes, d’avancer son lever. Tout à coup Pierrette frissonne. M. de Morais resté à quelques pas, s’avance. Il se prépare à enlever son pardessus pour le lui tendre :

— Vous permettez, Mademoiselle ?

— Non, merci, dit Pierrette, je n’ai pas froid : je pensais seulement qu’il doit être terrible de faire naufrage, et de se sentir emporté par le courant.

— Quelle idée vous avez par un si beau temps !

— J’ai toujours. Monsieur, des idées baroques, vous vous habituerez.

À cette minute, elle pensait : « Je ne pourrai jamais me faire à ses manières ». Est-il assez : « Fifi ! » je finirai par le lui dire.

Un sourire furtif court sur ses lèvres.

— Peut-on savoir. Mademoiselle, ce qui vous amuse de la sorte ?

— Non Monsieur, parce que je ne dis pas toutes les sottises que je pense : mais je pense toutes celles que je dis.

Monsieur de Morais ne répliqua pas, mais il réfléchit à part lui : «  On dit les Américaines excentriques, piquantes, par la liberté de leurs allures, je n’ai jamais rien vu d’aussi peu maniéré que cette québécoise,