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— C’est à savoir, interjecta Pierrette, je veux simplement te mettre au courant. Tu me portes un tel intérêt. Le jeune homme que j’ai trahi pour ce goujat de Morais est prêt à me mettre en mesure de refaire ma vie. Je ne puis me décider à accepter bien que j’admire et sache apprécier la valeur de son désintéressement et la profondeur de son amour.

— Ne laisse pas échapper cette occasion unique.

Pierrette répéta plus bas : « Ne laisse pas échapper cette occasion unique. »

— Mais dans ce cas, ce serait moi que je mépriserais.

Ils entendaient des bruits de pas. Madame des Orties venait les rejoindre avant le souper. Pierrette se dirigea vers le commutateur électrique, fit jaillir un flot de lumière ; au premier moment, ils furent éblouis. Passant près de son cousin, elle dit d’une voix suppliante :

— Ne parle plus que de choses indifférentes.

Celui-ci fit un signe de tête affirmatif.

Entre ces trois personnes s’entretenant gaiement, racontant des épisodes amusants d’une vie si remplie, il eût été facile à un observateur averti de sentir passer des pensées tristes, des souvenirs angoissants, des craintes grosses de menace pour l’avenir. Ils se laissaient deviner par ces silences qui se faisaient d’eux-mêmes et que seul un effort de volonté arrivait à combler.

Pierrette déployait une verve factice qui trompait son émotivité nerveuse. Combien aurait-elle préféré un recueillement profond, une solitude complète qui lui eussent permis de classer et d’approfondir ses sentiments ! Au lieu de cela il y eut des visiteurs toute la soirée, et le lendemain une excursion à la campagne. Ne fallait-il pas faire honneur à un hôte aussi agréable ?

Benoît n’osa reprendre cette conversation avec sa cousine, il aurait bien désiré savoir quel serait le sort de Charlie ; mais Pierrette avait été si émue lors de leur entretien à ce sujet qu’il crut mieux s’abstenir de la bouleverser par simple curiosité.